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Après avoir passé la porte, on rencontre la maison de campagne si connue. Le portique qui entoure le jardin de cette maison est composé de piliers carrés, groupés trois par trois. Sous ce premier portique, il en existe un second : c’est là que fut étouffée la jeune femme dont le sein s’est imprimé dans le morceau de terre que j’ai vu à Portici : la mort, comme un statuaire, a moulé sa victime.

Pour passer d’une partie découverte de la cité à une autre partie découverte, on traverse un riche sol cultivé ou planté de vignes. La chaleur étoit considérable, la terre riante de verdure et émaillée de fleurs[1].

En parcourant cette cité des morts, une idée me poursuivoit. À mesure que l’on déchausse quelque édifice à Pompeïa, on enlève ce que donne la fouille, ustensiles de ménage, instruments de divers métiers, meubles, statues, manuscrits, etc., et l’on entasse le tout au Musée Portici. Il y auroit selon moi quelque chose de mieux à faire : ce seroit de laisser les choses dans l’endroit où on les trouve et comme on les trouve, de remettre des toits, des plafonds, des planchers et des fenêtres, pour empêcher la dégradation des peintures et des murs ; de relever l’ancienne enceinte de la ville, d’en clore les portes ; enfin d’y établir une garde de soldats avec quelques savants versés dans les arts. Ne seroit-ce pas là le plus merveilleux musée de la terre ? Une ville romaine conservée tout entière, comme si ses habitants venoient d’en sortir un quart d’heure auparavant !

On apprendroit mieux l’histoire domestique du peuple romain, l’état de la civilisation romaine dans quelques promenades à Pompeïa restaurée, que par la lecture de tous les ouvrages de l’antiquité. L’Europe entière accourroit : les frais qu’exigeroit la mise en œuvre de ce plan seroient amplement compensés par l’affluence des étrangers à Naples. D’ailleurs rien n’obligeroit d’exécuter ce travail à la fois ; on continueroit lentement, mais régulièrement les fouilles ; il ne faudroit qu’un peu de brique, d’ardoise, de plâtre, de pierre, de bois de charpente et de menuiserie pour les employer en proportion du déblai. Un architecte habile suivroit, quant aux restaurations, le style local dont il trouveroit des modèles dans les paysages peints sur les murs mêmes des maisons de Pompeïa.

Ce que l’on fait aujourd’hui me semble funeste : ravies à leurs places naturelles, les curiosités les plus rares s’ensevelissent dans des cabinets où elles ne sont plus en rapport avec les objets environnants.

  1. Je donne à la page 353 etsuivantes des notices curieuses sur Pompeïa, et qui complètent ma courte description.