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Terre-Neuve. Là coulent de petites rivières qui communiquent à des lacs fort multipliés dans l’intérieur de l’île.

On ne sait pas autre chose de Leif, de Biorn et d’Éric. La plus ancienne autorité pour les faits à eux relatifs est le recueil des Annales de l’Islande par Hauk, qui écrivoit en 1300, conséquemment trois cents ans après la découverte vraie ou supposée du Vinland.

Les frères Zeni, Vénitiens, entrés au service d’un chef des îles Feroer et Shetland, sont censés avoir visité de nouveau, vers l’an 1380, le Vinland des anciens Groënlandois : il existe une carte et un récit de leur voyage. La carte présente au midi de l’Islande et au nord-est de l’Ecosse, entre le 61e et le 65e degré de latitude nord, une île appelée Frislande ; à l’ouest de cette île et au sud du Groënland, à une distance d’à peu près quatre cents lieues, cette carte indique deux côtes sous le nom d’Estotiland et de Droceo. Des pêcheurs de Frislande jetés, dit le récit, sur l’Estotiland, y trouvèrent une ville bien bâtie et fort peuplée ; il y avoit dans cette ville un roi et un interprète qui parloit latin.

Les Frislandois naufragés furent envoyés par le roi d’Estotiland vers un pays situé au midi, lequel pays étoit nommé Droceo : des anthropophages les dévorèrent, un seul excepté. Celui-ci revint à Estotiland après avoir été longtemps esclave dans le Droceo, contrée qu’il représente comme étant d’une immense étendue, comme un nouveau monde.

IL faudroit voir dans l’Estotiland l’ancien Vinland des Norwégiens : ce Vinland seroit Terre-Neuve ; la ville d’Estotiland offriroit le reste de la colonie norwégienne, et la contrée de Droceo ou Drogeo deviendroit la Nouvelle-Angleterre.

Il est certain que le Groënland a été découvert vers le milieu du xe siècle ; il est certain que la pointe méridionale du Groënland est fort rapprochée de la côte du Labrador ; il est certain que les Esquimaux, placés entre les peuples de l’Europe et ceux de l’Amérique, paroissent tenir davantage des premiers que des seconds ; il est certain qu’ils auroient pu montrer aux premiers Norwégiens établis au Groenland la route du nouveau continent ; mais enfin trop de fables et d’incertitudes se mêlent aux aventures des Norwégiens et des frères Zeni pour qu’on puisse ravir à Colomb la gloire d’avoir abordé le premier aux terres américaines.

La carte de navigation des deux Zeni et la relation de leur voyage, exécuté en 1380, ne furent publiées qu’en 1558 par un descendant de Nicolo Zeno : or, en 1558 les prodiges de Colomb avoient éclaté : des jalousies nationales