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Je touche au pied du cône ; nous quittons nos mules ; mon guide me donne un long bâton, et nous commençons à gravir l’énorme monceau de cendres. Les nuages se referment, le brouillard s’épaissit, et l’obscurité redouble.

Me voilà au haut du Vésuve, écrivant assis à la bouche du volcan, et prêt à descendre au fond de son cratère. Le soleil se montre de temps en temps à travers le voile de vapeurs qui enveloppe toute la montagne. Cet accident, qui me cache un des plus beaux paysages de la terre, sert à redoubler l’horreur de ce lieu. Le Vésuve, séparé par les nuages des pays enchantés qui sont à sa base, a l’air d’être ainsi placé dans le plus profond des déserts, et l’espèce de terreur qu’il inspire n’est point affoiblie par le spectacle d’une ville florissante à ses pieds.

Je propose à mon guide de descendre dans le cratère ; il fait quelque difficulté, pour obtenir un peu plus d’argent. Nous convenons d’une somme qu’il veut avoir sur-le-champ. Je la lui donne. Il dépouille son habit ; nous marchons quelque temps sur les bords de l’abîme, pour trouver une ligne moins perpendiculaire et plus facile à descendre. Le guide s’arrête et m’avertit de me préparer. Nous allons nous précipiter.

Nous voilà au fond du gouffre[1]. Je désespère de pouvoir peindre ce chaos.

Qu’on se figure un bassin d’un mille de tour et de trois cents pieds d’élévation, qui va s’élargissant en forme d’entonnoir. Ses bords ou ses parois intérieures sont sillonnées par le fluide de feu que ce bassin a contenu, et qu’il a versé au dehors. Les parties saillantes de ces sillons ressemblent aux jambages de briques dont les Romains appuyoient leurs énormes maçonneries. Des rochers sont suspendus dans quelques parties du contour, et leurs débris, mêlés à une pâte de cendres, recouvrent l’abîme.

Ce fond du bassin est labouré de différentes manières. À peu près au milieu sont creusés trois puits ou petites bouches nouvellement ouvertes, et qui vomirent des flammes pendant le séjour des François à Naples en 1798.

Des fumées transpirent à travers les pores du gouffre, surtout du côté de la Torre del Greco. Dans le flanc opposé, vers Caserte, j’aperçois une flamme. Quand vous enfoncez la main dans les cendres, vous les trouvez brûlantes à quelques pouces de profondeur sous la surface.

  1. Il n’y a que de la fatigue et peu de danger à descendre dans le cratère du Vésuve. Il faudroit avoir le malheur d’y être surpris par une éruption. Les dernières éruptions ont changé la forme du cône.