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mais la tête du Vésuve est toujours dans le brouillard. Je fais marché avec un cicerone pour me conduire au cratère du volcan. Il me fournit deux mules, une pour lui, une pour moi : nous partons.

Je commence à monter par un chemin assez large, entre deux champs de vignes appuyées sur des peupliers. Je m’avance droit au levant d’hiver. J’aperçois, un peu au-dessus des vapeurs descendues dans la moyenne région de l’air, la cime de quelques arbres : ce sont les ormeaux de l’ermitage. De pauvres habitations de vignerons se montrent à droite et à gauche, au milieu des riches ceps du Lacryma-Christi. Au reste, partout une terre brûlée, des vignes dépouillées entremêlées de pins en forme de parasol, quelques aloès dans les haies, d’innombrables pierres roulantes, pas un oiseau.

J’arrive au premier plateau de la montagne. Une plaine nue s’étend devant moi. J’entrevois les deux têtes du Vésuve ; à gauche la Somma, à droite la bouche actuelle du volcan : ces deux têtes sont enveloppées de nuages pâles. Je m’avance. D’un côté la Somma s’abaisse ; de l’autre je commence à distinguer les ravines tracées dans le cône du volcan, que je vais bientôt gravir. La lave de 1766 et de 1769 couvre la plaine où je marche. C’est un désert enfumé où les laves, jetées comme des scories de forge, présentent sur un fond noir leur écume blanchâtre, tout à fait semblable à des mousses desséchées.

Suivant le chemin à gauche, et laissant à droite le cône du volcan, j’arrive au pied d’un coteau ou plutôt d’un mur formé de la lave qui a recouvert Herculanum. Cette espèce de muraille est plantée de vignes sur la lisière de la plaine, et son revers offre une vallée profonde occupée par un taillis. Le froid devient très-piquant.

Je gravis cette colline pour me rendre à l’ermitage que l’on aperçoit de l’autre côté. Le ciel s’abaisse, les nuages volent sur la terre comme une fumée grisâtre, ou comme des cendres chassées par le vent. Je commence à entendre le murmure des ormeaux de l’ermitage.

L’ermite est sorti pour me recevoir. Il a pris la bride de la mule, et j’ai mis pied à terre. Cet ermite est un grand homme de bonne mine et d’une physionomie ouverte. Il m’a fait entrer dans sa cellule ; il a dressé le couvert, et m’a servi un pain, des pommes et des œufs. Il s’est assis devant moi, les deux coudes appuyés sur la table, et a causé tranquillement tandis que je déjeunois. Les nuages s’étoient fermés de toutes parts autour de nous ; on ne pouvoit distinguer aucun objet par la fenêtre de l’ermitage. On n’oyoit dans ce gouffre de vapeurs que le sifflement du vent et le bruit lointain de la mer sur les côtes d’Herculanum ; scène paisible de l’hospitalité chrétienne, placée dans une petite cellule au pied d’un volcan et au milieu d’une tempête !