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Presque tous les monuments géographiques de l’antiquité indiquent un continent austral : je ne puis être de l’avis des savants qui ne voient dans ce continent qu’un contre-poids systématique imaginé pour balancer les terres boréales : ce continent étoit sans doute fort propre à remplir sur les cartes des espaces vides ; mais il est aussi très-possible qu’il y fut dessiné comme le souvenir d’une tradition confuse : son gisement au sud de la rose des vents, plutôt qu’à l’ouest, ne seroit qu’une erreur insignifiante parmi les énormes transpositions des géographies de l’antiquité.

Restent pour derniers indices les statues et les médailles phéniciennes des Açores, si toutefois les statues ne sont pas ces ornements de gravure appliqués aux anciens postulants de cet archipel.

Depuis la chute de l’empire romain et la reconstruction de la société par les barbares, des vaisseaux ont-ils touché aux côtes de l’Amérique avant ceux de Christophe Colomb ?

Il paroît indubitable que les rudes explorateurs des ports de la Norwège et de la Baltique rencontrèrent l’Amérique septentrionale dans la première année du xie siècle. Ils avoient découvert les îles Feroer vers l’an 861, l’Islande de 868 à 872, le Groënland en 982, et peut-être cinquante ans plus tôt. En 1001, un Islandois appelé Biorn, passant au Groënland, fut chassé par une tempête au sud-ouest, et tomba sur une terre basse toute couverte de bois. Revenu au Groënland, il raconte son aventure. Leif, fils d’Éric Rauda, fondateur de la colonie norwégienne du Groënland, s’embarque avec Biorn ; ils cherchent et retrouvent la côte vue par celui-ci : ils appellent Helleland une île rocailleuse, et Marcland un rivage sablonneux. Entraînés sur une seconde côte, ils remontent une rivière, et hivernent sur le bord d’un lac. Dans ce lieu, au jour le plus court de l’année, le soleil reste huit heures sur l’horizon. Un marinier allemand, employé par les deux chefs, leur montre quelques vignes sauvages : Biorn et Leif laissent en partant à cette terre le nom de Vinland.

Dès lors le Vinland est fréquenté des Groënlandois : ils y font le commerce des pelleteries avec les sauvages. L’évêque Éric, en 1121, se rend du Groënland au Vinland pour prêcher l’Évangile aux naturels du pays.

Il n’est guère possible de méconnoître à ces détails quelque terre de l’Amérique du Nord vers les 49 degrés de latitude, puisqu’au jour le plus court de l’année, noté par les voyageurs, le soleil resta huit heures sur l’horizon. Au 49e degré de latitude on tomberoit à peu près à l’embouchure du Saint-Laurent. Ce 49e degré vous porte aussi sur la partie septentrionale de l’île de