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Naples, 2 janvier.

Le duc d’Anjou, roi de Naples, frère de saint Louis, fit mettre à mort Conradin, légitime héritier de la couronne de Sicile. Conradin sur l’échafaud jeta son gant dans la foule : qui le releva ? Louis XVI, descendant de saint Louis.

Le royaume des Deux-Siciles est quelque chose d’à part en Italie : grec sous les anciens Romains, il a été sarrasin, normand, allemand, françois, espagnol, au temps des Romains nouveaux.

L’Italie du moyen âge étoit l’Italie des deux grandes factions guelfe et gibeline, l’Italie des rivalités républicaines et des petites tyrannies ; on n’y entendoit parler que de crimes et de liberté ; tout s’y faisoit à la pointe du poignard. Les aventures de cette Italie tenoient du roman : qui ne sait Ugolin, Françoise de Rimini, Roméo et Juliette, Othello ? Les doges de Gênes et de Venise, les princes de Vérone, de Ferrare et de Milan, les guerriers, les navigateurs, les écrivains, les artistes, les marchands de cette Italie étoient des hommes de génie : Grimaldi, Fregose, Adorni, Dandolo, Marin Zeno, Morosini, Gradenigo, Scaligieri, Visconti, Doria, Trivulce, Spinola, Zeno, Pisani, Christophe Colomb, Améric Vespuce, Gabato, le Dante, Pétrarque, Boccace, Arioste, Machiavel, Cardan, Pomponace, Achellini, Érasme, Politien, Michel-Ange, Pérugin, Raphaël, Jules Romain, Dominiquin, Titien, Caragio, les Médicis ; mais, dans tout cela, pas un chevalier, rien de l’Europe transalpine.

À Naples, au contraire, la chevalerie se mêle au caractère italien, et les prouesses aux émeutes populaires ; Tancrède et le Tasse, Jeanne de Naples et le bon roi René, qui ne régna point, les Vêpres Siciliennes, Mazaniel et le dernier duc de Guise, voilà les Deux-Siciles. Le souffle de la Grèce vient aussi expirer à Naples ; Athènes a poussé ses frontières jusqu’à Pœstum ; ses temples et ses tombeaux forment une ligne au dernier horizon d’un ciel enchanté.

Je n’ai point été frappé de Naples en arrivant : depuis Capoue et ses délices jusque ici le pays est fertile, mais peu pittoresque. On entre dans Naples presque sans la voir, par un chemin assez creux[1].

3 janvier 1804.

Visité le Musée.

Statue d’Hercule dont il y a des copies partout : Hercule en repos

  1. On peut, si l’on veut, ne plus suivre l’ancienne route. Sous la dernière domination françoise une autre entrée a été ouverte, et l’on a tracé un beau chemin autour de la colline de Pausilippe.