lins ; des troupeaux d’ânes, de chèvres, de moutons ; des voiturins, des courriers, la tête enveloppée d’un réseau comme les Espagnols ; des enfants tout nus ; des pèlerins, des mendiants, des pénitents blancs ou noirs ; des militaires cahotés dans de méchantes carrioles ; des escouades de gendarmerie ; des vieillards mêlés à des femmes. L’air de bienveillance est grand, mais grand est aussi l’air de curiosité ; on se suit des yeux tant qu’on peut se voir, comme si on vouloit se parler, et l’on ne se dit mot.
J’ai ouvert ma fenêtre : les flots venoient expirer au pied des murs de l’auberge. Je ne revois jamais la mer sans un mouvement de joie et presque de tendresse.
Encore une année écoulée !
En sortant de Fondi j’ai salué le premier verger d’orangers : ces beaux arbres étoient aussi chargés de fruits mûrs que pourroient l’être les pommiers les plus féconds de la Normandie. Je trace ce peu de mots à Gaète, sur un balcon, à quatre heures du soir, par un soleil superbe, ayant en vue la pleine mer. Ici mourut Cicéron, dans cette patrie, comme il le dit lui-même, qu’il avoit sauvée : Moriar in patria sæpe servata. Cicéron fut tué par un homme qu’il avoit jadis défendu ; ingratitude dont l’histoire fourmille. Antoine reçut au Forum la tête et les mains de Cicéron ; il donna une couronne d’or et une somme de 200,000 livres à l’assassin ; ce n’étoit pas le prix de la chose : la tête fut clouée à la tribune publique entre les deux mains de l’orateur. Sous Néron on louoit beaucoup Cicéron ; on n’en parla pas sous Auguste. Du temps de Néron le crime s’étoit perfectionné ; les vieux assassinats du divin Auguste étoient des vétilles, des essais, presque de l’innocence au milieu des forfaits nouveaux. D’ailleurs on étoit déjà loin de la liberté ; on ne savoit plus ce que c’étoit : les esclaves qui assistoient aux jeux du cirque alloient-ils prendre feu pour les rêveries des Caton et des Brutus ? Les rhéteurs pouvoient donc, en toute sûreté de servitude, louer le paysan d’Arpinum. Néron lui-même auroit été homme à débiter des harangues sur l’excellence de la liberté ; et si le peuple romain se fût endormi pendant ces harangues, comme il est à croire, son maître, selon la coutume, l’eût fait réveiller à coups de bâton pour le forcer d’applaudir.