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sière, Rome païenne s’enfonce de plus en plus dans ses tombeaux, et Rome chrétienne redescend peu à peu dans les catacombes d’où elle est sortie.

J’ai dans la tête le sujet d’une vingtaine de lettres sur l’Italie, qui peut-être se feroient lire, si je parvenois à rendre mes idées telles que je les conçois : mais les jours s’en vont, et le repos me manque. Je me sens comme un voyageur qui forcé de partir demain a envoyé devant lui ses bagages. Les bagages de l’homme sont ses illusions et ses années ; il en remet à chaque minute une partie à celui que l’Écriture appelle un courrier rapide : le Temps[1].


VOYAGE DE NAPLES.

Terracine, 31 décembre.

Voici les personnages, les équipages, les choses et les objets que l’on rencontre pêle-mêle sur les routes de l’Italie : des Anglois et des Russes, qui voyagent à grands frais dans de bonnes berlines, avec tous les usages et les préjugés de leurs pays ; des familles italiennes qui passent dans de vieilles calèches pour se rendre économiquement aux vendanges ; des moines à pied, tirant par la bride une mule rétive chargée de reliques ; des laboureurs conduisant des charrettes que traînent de grands bœufs, et qui portent une petite image de la Vierge élevée sur le timon au bout d’un bâton ; des paysannes voilées ou les cheveux bizarrement tressés, jupon court de couleur tranchante, corsets ouverts aux mamelles, et entrelacés avec des rubans, colliers et bracelets de coquillages ; des fourgons attelés de mulets ornés de sonnettes, de plumes et d’étoffe rouge ; des bacs, des ponts et des mou-

  1. De cette vingtaine de lettres que j’avois dans la tête, je n’en ai écrit qu’une seule, la Lettre sur Rome à M. de Fontanes. Les divers fragments qu’on vient de lire et qu’on va lire devoient former le texte des autres lettres ; mais j’ai achevé de décrire Rome et Naples dans le quatrième et dans le cinquième livre des Martyrs. Il ne manque donc à tout ce que je voulois dire sur l’Italie que la partio historique et politique.