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une sympathie secrète avec les régions et les destinées des peuples de l’Inde ! Le poëte du Tage fit entendre sa triste et belle voix sur les rivages du Gange ; il leur emprunta leur éclat, leur renommée et leurs malheurs : il ne leur laissa que leurs richesses.

Et c’est un petit peuple, enfermé dans un cercle de montagnes à l’extrémité occidentale de l’Europe, qui se fraya le chemin à la partie la plus pompeuse de la demeure de l’homme.

Et c’est un autre peuple de cette même péninsule, un peuple non encore arrivé à la grandeur dont il est déchu ; c’est un pauvre pilote génois, longtemps repoussé de toutes les cours, qui découvrit un nouvel univers aux portes du Couchant, au moment où les Portugais abordoient les champs de l’Aurore.

Les anciens ont-ils connu l’Amérique ?

Homère plaçoit l’Élysée dans la mer occidentale, au delà des ténèbres Cimmériennes : étoit-ce la terre de Colomb ?

La tradition des Hespérides et ensuite des Îles Fortunées succéda à celle de l’Élysée. Les Romains virent les îles Fortunées dans les Canaries, mais ne détruisirent point la croyance populaire de l’existence d’une terre plus reculée à l’occident.

Tout le monde a entendu parler de l’Atlantide de Platon : ce devoit être un continent plus grand que l’Asie et l’Afrique réunies, lequel étoit situé dans l’Océan occidental en face du détroit de Gades ; position juste de l’Amérique. Quant aux villes florissantes, aux dix royaumes gouvernés par des rois fils de Neptune, etc., l’imagination de Platon a pu ajouter ces détails aux traditions égyptiennes. L’Atlantide fut, dit-on, engloutie dans un jour et une nuit au fond des eaux. C’étoit se débarrasser à la fois du récit des navigateurs phéniciens et des romans du philosophe grec.

Aristote parle d’une île si pleine de charmes, que le sénat de Carthage défendit à ses marins d’en fréquenter les parages sous peine de mort. Diodore nous fait l’histoire d’une île considérable et éloignée, où les Carthaginois étoient résolus de transporter le siège de leur empire s’ils éprouvoient en Afrique quelque malheur.

Qu’est-ce que cette Panchœa d’Evhémère, niée par Strabon et Plutarque, décrite par Diodore et Pomponius Mela, grande île située dans l’Océan au sud de l’Arabie, île enchantée où le phénix bâtissoit son nid sur l’autel du soleil ?

Selon Ptolémée, les extrémités de l’Asie se réunissoient à une terre inconnue qui joignoit l’Afrique par l’occident.