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carrefours. Tout ce qui s’agite et fait du bruit nous plaît ; le recueillement, la gravité, le silence, nous ennuient.

La seconde question que je me fais est celle-ci : Pourquoi tant de monuments consacrés aux mêmes usages ? on voit incessamment des salles pour des bibliothèques, et il y avoit peu de livres chez les anciens. On rencontre à chaque pas des thermes : les thermes de Néron, de Titus, de Caracalla, de Dioclétien, etc. Quand Rome eût été trois fois plus peuplée qu’elle ne l’a jamais été, la dixième partie de ces bains auroit suffi aux besoins publics.

Je me réponds qu’il est probable que ces monuments furent dès l’époque de leur érection de véritables ruines et des lieux délaissés. Un empereur renversoit ou dépouilloit les ouvrages de son devancier, afin d’entreprendre lui-même d’autres édifices, que son successeur se hâtoit à son tour d’abandonner. Le sang et les sueurs des peuples furent employés aux inutiles travaux de la vanité d’un homme, jusqu’au jour où les vengeurs du monde, sortis du fond de leurs forêts, vinrent planter l’humble étendard de la croix sur ces monuments de l’orgueil.

La pluie passée, j’ai visité le Stade, pris connoissance du temple de Diane, en face duquel s’élevoit celui de Vénus, et j’ai pénétré dans les décombres du palais de l’empereur. Ce qu’il y a de mieux conservé dans cette destruction informe est une espèce de souterrain ou de citerne formant un carré, sous la cour même du palais. Les murs de ce souterrain étoient doubles : chacun des deux murs a deux pieds et demi d’épaisseur, et l’intervalle qui les sépare est de deux pouces.

Sorti du palais, je l’ai laissé sur la gauche derrière moi, en m’avançant à droite vers la campagne romaine. À travers un champ de blé, semé sur des caveaux, j’ai abordé les thermes, connus encore sous le nom de chambres des philosophes ou de salles prétoriennes : c’est une des ruines les plus imposantes de toute la villa. La beauté, la hauteur, la hardiesse et la légèreté des voûtes, les divers enlacements des portiques qui se croisent, se coupent ou se suivent parallèlement, le paysage qui joue derrière ce grand morceau d’architecture, produisent un effet surprenant. La villa Adriana a fourni quelques restes précieux de peinture. Le peu d’arabesques que j’y ai vues est d’une grande sagesse de composition et d’un dessin aussi délicat que pur.

La Naumachie se trouve derrière les thermes, bassin creusé de main d’homme, où d’énormes tuyaux, qu’on voit encore, amenoient des fleuves. Ce bassin, maintenant à sec, étoit rempli d’eau, et l’on y figuroit des batailles navales. On sait que dans ces fêtes un ou deux milliers d’hommes s’égorgeoient quelquefois pour divertir la populace romaine.