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l’ouverture d’un portique, on découvre, comme dans un optique, au bout d’une avenue d’oliviers et de cyprès, la montagne de Palomba, couronnée du premier village de la Sabine. A gauche du Pœcile, et sous le Pœcile même, on descend dans les Cento-Cellæ des gardes prétoriennes : ce sont des loges voûtées de huit pieds à peu près en carré, à deux, trois et quatre étages, n’ayant aucune communication entre elles, et recevant le jour par la porte. Un fossé règne le long de ces cellules militaires, où il est probable qu’on entroit au moyen d’un pont mobile. Lorsque les cent ponts étoient abaissés, que les prétoriens passoient et repassoient sur ces ponts, cela devoit offrir un spectacle singulier, au milieu des jardins de l’empereur philosophe qui mit un dieu de plus dans l’olympe. Le laboureur du patrimoine de saint Pierre fait aujourd’hui sécher sa moisson dans la caserne du légionnaire romain. Quand le peuple-roi et ses maîtres élevoient tant de monuments fastueux, ils ne se doutoient guère qu’ils bâtissoient les caves et les greniers d’un chevrier de la Sabine et d’un fermier d’Albano.

Après avoir parcouru une partie des Cento-Cellæ, j’ai mis un assez long temps à me rendre dans la partie du jardin dépendante des Thermes des femmes : là, j’ai été surpris par la pluie[1].

Je me suis souvent fait deux questions au milieu des ruines romaines : les maisons des particuliers étoient composées d’une multitude de portiques, de chambres voûtées, de chapelles, de salles, de galeries souterraines, de passages obscurs et secrets : à quoi pouvoit servir tant de logement pour un seul maître ? Les offices des esclaves, des hôtes, des clients, étoient presque toujours construites à part.

Pour résoudre cette première question, je me figure le citoyen romain dans sa maison comme une espèce de religieux qui s’étoit bâti des cloîtres. Cette vie intérieure, indiquée par la seule forme des habitations, ne seroit-elle point une des causes de ce calme qu’on remarque dans les écrits des anciens ? Cicéron retrouvoit dans les longues galeries de ses habitations, dans les temples domestiques qui y étoient cachés, la paix qu’il avoit perdue au commerce des hommes. Le jour même que l’on recevoit dans ces demeures sembloit porter à la quiétude. Il descendoit presque toujours de la voûte ou des fenêtres percées très-haut ; cette lumière perpendiculaire, si égale et si tranquille, avec laquelle nous éclairons nos salons de peinture, servoit, si j’ose m’exprimer ainsi, servoit au Romain à contempler le tableau de sa vie. Nous, il nous faut des fenêtres sur des rues, sur des marchés et des

  1. Voyez ci-après la Lettre sur Rome à M. de Fontanes.