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En sortant d’un chemin de traverse fort étroit, une allée de cyprès, coupée par la cime, m’a conduit à une méchante ferme, dont l’escalier croulant étoit rempli de morceaux de porphyre, de vert antique, de granit, de rosaces de marbre blanc et de divers ornements d’architecture. Derrière cette ferme se trouve le théâtre romain, assez bien conservé : c’est un demi-cercle composé de trois rangs de sièges. Ce demi-cercle est fermé par un mur en ligne droite qui lui sert comme de diamètre ; l’orchestre et le théâtre faisoient face à la loge de l’empereur.

Le fils de la fermière, petit garçon presque tout nu, âgé d’environ douze ans, m’a montré sa loge et les chambres des acteurs. Sous les gradins destinés aux spectateurs, dans un endroit où l’on dépose les instruments de labourage, j’ai vu le torse d’un Hercule colossal, parmi des socs, des herses et des râteaux : les empires naissent de la charrue et disparoissent sous la charrue.

L’intérieur du théâtre sert de basse-cour et de jardin à la ferme : il est planté de pruniers et de poiriers. Le puits que l’on a creusé au milieu est accompagné de deux piliers qui portent les seaux ; un de ces piliers est composé de boue séchée et de pierres entassées au hasard, l’autre est fait d’un beau tronçon de colonne cannelée ; mais pour dérober la magnificence de ce second pilier, et le rapprocher de la rusticité du premier, la nature a jeté dessus un manteau de lierre. Un troupeau de porcs noirs fouilloit et bouleversoit le gazon qui recouvre les gradins du théâtre : pour ébranler les sièges des maîtres de la terre, la Providence n’avoit eu besoin que de faire croître quelques racines de fenouil entre les jointures de ces sièges et de livrer l’ancienne enceinte de l’élégance romaine aux immondes animaux du fidèle Eumée.

Du théâtre, en montant par l’escalier de la ferme, je suis arrivé à la Palestrine, semée de plusieurs débris. La voûte d’une salle conserve des ornements d’un dessin exquis.

Là commence le vallon appelé par Adrien la Vallée de Tempé :

Est nemus Æmoniæ, prærupta quod undique claudit
Sylva.

J’ai vu à Stowe, en Angleterre, la répétition de cette fantaisie impériale ; mais Adrien avoit taillé son jardin anglais en homme qui possédoit le monde.

Au bout d’un petit bois d’ormes et de chênes verts, on aperçoit des ruines qui se prolongent le long de la vallée de Tempé ; doubles et triples