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de la villa de Mécène. Une vapeur bleuâtre répandue à travers le paysage en adoucissoit les plans.

On a une grande idée de l’architecture romaine lorsqu’on songe que ces masses bâties depuis tant de siècles ont passé du service des hommes à celui des éléments, qu’elles soutiennent aujourd’hui le poids et le mouvement des eaux, et sont devenues les inébranlables rochers de ces tumultueuses cascades.

Ma promenade a duré six heures. Je suis entré, en revenant à mon auberge, dans une cour délabrée, aux murs de laquelle sont appliquées des pierres sépulcrales chargées d’inscriptions mutilées. J’ai copié quelques-unes de ces inscriptions :

DIS. MAN.

ULIÆ PAULIN.

VIXIT ANN. X.

MENSIBUS DIEB. S.

SEI. DEUS.

SEI. DEA.

D. M.

VICTORIÆ.

FILIÆ QUÆ

VIXIT ANN. XV

PEREGRINA,

MATER. B. M. F.

D. M.

LICINIA

ASELERIO

TENIS.

Que peut-il y avoir de plus vain que tout ceci ? Je lis sur une pierre les regrets qu’un vivant donnoit à un mort ; ce vivant est mort à son tour, et après deux mille ans je viens, moi barbare des Gaules, parmi les ruines de Rome, étudier ces épitaphes dans une retraite abandonnée, moi indifférent à celui qui pleura comme à celui qui fut pleuré, moi qui demain m’éloignerai pour jamais de ces lieux, et qui disparoîtrai bientôt de la terre.

Tous ces poètes de Rome qui passèrent à Tibur se plurent à retracer la rapidité de nos jours : Carpe diem, disoit Horace ; Te spectem suprema mihi cum venerit hora, disoit Tibulle ; Virgile peignoit cette dernière heure : Invalidasque tibi tendens, heu ! non tua, palmas. Qui