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Je ne m’étonne plus du dédain que les Italiens ont conservé pour nous autres Transalpins, Visigoths, Gaulois, Germains, Scandinaves, Slaves, Anglo-Normands : notre ciel de plomb, nos villes enfumées, nos villages boueux, doivent leur faire horreur. Les villes et villages ont ici une tout autre apparence : les maisons sont grandes et d’une blancheur éclatante au dehors ; les rues sont larges et souvent traversées de ruisseaux d’eau vive où les femmes lavent leur linge et baignent leurs enfants. Turin et Milan ont la régularité, la propreté, les trottoirs de Londres et l’architecture des plus beaux quartiers de Paris : il y a même des raffinements particuliers ; au milieu des rues, afin que le mouvement de la voiture soit plus doux, on a placé deux rangs de pierres plates sur lesquelles roulent les deux roues : on évite ainsi les inégalités du pavé.

La température est charmante ; encore me dit-on que je ne trouverai le ciel de l’Italie qu’au delà de l’Apennin : la grandeur et l’élévation des appartements empêche de souffrir de la chaleur.

23 juin.

J’ai vu le général Murat : il m’a reçu avec empressement et obligeance ; je lui ai remis la lettre de l’excellente Mme Bacciochi[1]. J’ai passé ma journée avec des aides de camp et de jeunes militaires ; on ne peut être plus courtois : l’armée françoise est toujours la même ; l’honneur est là tout entier.

J’ai dîné en grand gala chez M. de Melzi : il s’agissoit d’une fête donnée à l’occasion du baptême de l’enfant du général Murat. M. de Melzi a connu mon malheureux frère : nous en avons parlé longtemps. Le vice-président a des manières fort nobles ; sa maison est celle d’un prince, et d’un prince qui l’auroit toujours été. Il m’a traité poliment et froidement, et m’a tout juste trouvé dans des dispositions pareilles aux siennes.

Je ne vous parle point, mon cher ami, des monuments de Milan, et surtout de la cathédrale, qu’on achève ; le gothique, même le marbre, me semble jurer avec le soleil et les mœurs de l’Italie. Je pars à l’instant ; je vous écrirai de Florence[2] et de Rome.


    et aux auberges de France, c’est bien pis aujourd’hui qu’en 1803. Nous sommes sous ce rapport, l’Espagne exceptée, au-dessous de tous les peuples de l’Europe.

  1. Depuis princesse de Lucques, sœur aînée de Buonaparte, qui à cette époque n’étoit encore que premier consul.
  2. Les lettres écrites de Florence ne se sont pas retrouvées.