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nées d’arbres, font un contraste touchant avec leurs grandes montagnes. Quand les tourbillons de l’hiver descendent de ces sommets chargés de glaces éternelles, le Savoyard vient se mettre à l’abri dans son temple champêtre, et prier sous un toit de chaume celui qui commande aux éléments.

Les vallées où l’on entre au-dessus de Montmélian sont bordées par des monts de diverses formes, tantôt demi-nus, tantôt revêtus de forêts. Le fond de ces vallées représente assez pour la culture les mouvements du terrain et les anfractuosités de Marly, en y mêlant de plus des eaux abondantes et un fleuve. Le chemin a moins l’air d’une route publique que de l’allée d’un parc. Les noyers dont cette allée est ombragée m’ont rappelé ceux que nous admirions dans nos promenades de Savigny. Ces arbres nous rassembleront-ils encore sous leur ombre[1] ? Le poëte s’est écrié dans un mouvement de mélancolie :

Beaux arbres qui m’avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir !

Ceux qui meurent à l’ombre des arbres qui les ont vus naître sont-ils donc si à plaindre !

Les vallées dont je vous parle se terminent au village qui porte le joli nom d’Aigue-Belle. Lorsque je passai dans ce village, la hauteur qui le domine étoit couronnée de neige : cette neige, fondant au soleil, avoit descendu en longs rayons tortueux dans les concavités noires et vertes du rocher : vous eussiez dit d’une gerbe de fusées, ou d’un essaim de beaux serpents blancs qui s’élançoient de la cime des monts dans la vallée.

Aigue-Belle semble clore les Alpes ; mais bientôt en tournant un gros rocher isolé, tombé dans le chemin, vous apercevez de nouvelles vallées qui s’enfoncent dans la chaîne des monts attachés au cours de l’Arche. Ces vallées prennent un caractère plus sévère et plus sauvage.

Les monts des deux côtés se dressent ; leurs flancs deviennent perpendiculaires ; leurs sommets, stériles, commencent à présenter quelques glaciers : des torrents, se précipitant de toutes parts, vont grossir l’Arche, qui court follement. Au milieu de ce tumulte des eaux j’ai remarqué une cascade légère et silencieuse, qui tombe avec une grâce infinie sous un rideau de saules. Cette draperie humide, agitée par le vent, auroit pu représenter aux poëtes la robe ondoyante de la Naïade,

  1. Ils ne nous ont point rassemblés.