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VOYAGE
EN ITALIE


PREMIÈRE LETTRE À M. JOUBERT[1].

Turin, ce 17 juin 1803.

Je n’ai pu vous écrire de Lyon, mon cher ami, comme je vous l’avois promis. Vous savez combien j’aime cette excellente ville, où j’ai été si bien accueilli l’année dernière, et encore mieux cette année. J’ai revu les vieilles murailles des Romains, défendues par les braves Lyonnois de nos jours, lorsque les bombes des conventionnels obligeoient notre ami Fontanes à changer de place le berceau de sa fille ; j’ai revu l’abbaye des Deux-Amants et la fontaine de J.-J. Rousseau. Les coteaux de la Saône sont plus riants et plus pittoresques que jamais ; les barques qui traversent cette douce rivière, mitis Arar, couvertes d’une toile, éclairées d’une lumière pendant la nuit, et conduites par de jeunes femmes, amusent agréablement les yeux. Vous aimez les cloches : venez à Lyon ; tous ces couvents épars sur les collines semblent avoir retrouvé leurs solitaires.

Vous savez déjà que l’Académie de Lyon m’a fait l’honneur de m’admettre au nombre de ses membres. Voici un aveu : si le malin esprit

  1. M. Joubert (frère aîné de l’avocat général à la cour de cassation), homme d’un esprit rare, d’une âme supérieure et bienveillante, d’un commerce sûr et charmant, d’un talent qui lui auroit donné une réputation méritée, s’il n’avoit voulu cacher sa vie ; homme ravi trop tôt à sa famille, à la société choisie dont il étoit le lien ; homme de qui la mort a laissé dans mon existence un de ces vides que font les années et qu’elles ne réparent point.
    Voyez, au reste, sur ce Voyage en Italie, l’Avertissement en tète du Voyage en Amérique.