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longe sur la rive du fleuve, dans une étendue d’une cinquantaine de rods. Le fort étoit situé à son extrémité sud-ouest ; il comprenoit une surface de trois rods ; la ligne étoit presque droite du côté de la rivière, et la rive presque perpendiculaire.

À chacune des extrémités nord et sud, qui étoient près de la rivière, se trouvoit un espace de dix pieds carrés où le sol n’avoit pas été remué ; c’étoient sans doute des entrées ou des portes par lesquelles les habitants du fort sortoient et entroient, surtout pour aller chercher de l’eau. L’enceinte est fermée, excepté aux endroits où sont les portes, par un fossé creusé avec régularité ; et quoique le terrain sur lequel le fort est situé fût, quand les blancs commencèrent à s’y établir, autant couvert de bois que les autres parties de la forêt, cependant on pouvoit suivre distinctement les lignes des ouvrages à travers les arbres, et la distance depuis le fond du fossé jusqu’au sommet de la levée, qui est en général de quatre pieds. Voici un fait qui prouve évidemment l’ancienneté de cette fortification. On y trouva un grand pin, ou plutôt un tronc mort, qui avoit une soixantaine de pieds de hauteur ; quand il fut coupé, on distingua très-facilement dans le bois cent quatre-vingt-quinze couches concentriques, et on ne put pas en compter davantage, parce qu’une grande partie de l’aubier n’existoit plus. Cet arbre étoit probablement âgé de trois à quatre cents ans ; il en avoit certainement plus de deux cents. Il avoit pu rester sur pied cent ans, et même plus, après avoir acquis tout son accroissement. On ne peut donc dire avec certitude quel temps s’étoit écoulé depuis que le fossé avoit été creusé jusqu’au moment où cet arbre avoit commencé à pousser. Il est sûr, du moins, qu’il ne se trouvoit pas dans cet endroit quand la terre fut jetée hors du trou ; car il étoit placé sur le sommet de la banquette du fossé, et ses racines en avoient suivi la direction en se prolongeant par-dessous le fond, puis se relevant de l’autre côté, près de la surface de la terre, et s’étendant ensuite en ligne horizontale. Ces ouvrages étoient probablement soutenus par des piquets ; mais l’on n’y a découvert aucun reste de travail en bois. La situation en étoit excellente, car elle étoit très-saine ; on y jouissoit de la vue de la rivière au-dessus et au-dessous du fort, et les environs n’offrent aucun terrain élevé assez proche pour que la garnison pût être inquiétée. L’on n’a pas rencontré de vestiges d’outils ni d’ustensiles d’aucune espèce, excepté quelques morceaux de poterie grossière qui ressemble à la plus commune dont nous fassions usage, et qui offrent des ornements exécutés avec rudesse. Les Indiens ont une tradition que la famille des Antoines, que l’on suppose faire partie de la nation Tuscarora, descend des habitants de ce