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en France et dans le reste de l’Europe, ajouté son secours, ce lieu pourroit le disputer à Baies. Une prairie immense est ceinte de tous côtés d’une forêt peu élevée, et se prolonge jusqu’aux bords du lac Ganneta, où les quatre nations principales des Iroquois peuvent facilement arriver avec leurs pirogues, comme au centre du pays, et d’où elles peuvent de même aller sans difficulté les unes chez les autres, par des rivières et des lacs qui entourent ce canton. L’abondance du gibier y égale celle du poisson ; et, pour qu’il n’y manque rien, les tourterelles y arrivent en si grande quantité au retour du printemps qu’on les prend avec des filets. Le poisson y est si commun que des pêcheurs y prennent, dit-on, mille anguilles à l’hameçon dans l’espace d’une nuit. Deux sources d’eau vive, éloignées l’une de l’autre d’une centaine de pas, coupent cette prairie ; l’eau salée fournit en abondance du sel excellent ; l’eau de l’autre est douce et bonne à boire, et, ce qui est admirable, toutes deux sortent de la même colline[1]. » Charlevoix nous apprend qu’en 1654 des missionnaires furent envoyés à Onontagué (Onondaga) ; qu’ils y construisirent une chapelle et y firent un établissement ; qu’une colonie françoise y fut fondée en 1658, et que les missionnaires abandonnèrent le pays en 1668. Quand Lasalle partit du Canada, pour descendre le Mississipi, en 1679, il découvrit, entre le lac Huron et le lac Illinois, une grande prairie, dans laquelle se trouvoit un bel établissement appartenant aux jésuites.

Les traditions des Indiens s’accordent jusqu’à un certain point avec les relations des François. Ils racontent que leurs ancêtres soutinrent plusieurs combats sanglants contre les François, et finirent par les obliger de quitter le pays : ceux-ci, poussés dans leur dernier fort, capitulèrent et consentirent à s’en aller, pourvu qu’on leur fournît des vivres ; les Indiens remplirent leurs sacs de cendres, qu’ils couvrirent de maïs, et les François périrent la plupart de faim dans un endroit nommé dans leur langue Anse de Famine, et dans la nôtre Hungry-Bay, qui est sur le lac Ontario. Un monticule dans Pompey porte le nom de Bloody-Hill (colline du Sang) ; les Indiens qui le lui ont donné ne veulent jamais le visiter. Il est surprenant que l’on ne trouve jamais dans ce pays des armes d’Indiens, telles que des couteaux, des haches et des pointes de flèche en pierre. Il paroît que tous ces objets furent remplacés par d’autres en fer venant des François.

Les vieilles fortifications ont été élevées avant que le pays eût des relations avec les Européens. Les Indiens ignorent à qui elles doivent

  1. Historiæ Canadensis, seu Novæ Franciæ, Libri decem ; auctore P. Francisco Creuxio. Parisiis, 1664, 1 vol. in-4o, p. 700.