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frêle. Quiconque les a interrogés sait qu’ils sont généralement aussi ignorants que celui qui leur adresse des questions, et que ce qu’ils disent est inventé à l’instant même, ou tellement lié à des fables évidentes, que l’on ne peut guère lui donner le moindre crédit. Dépourvus du secours de l’écriture pour soulager leur mémoire, les faits qu’ils connoissoient se sont, par la suite des temps, effacés de leur souvenir, ou bien s’y sont confondus avec de nouvelles impressions et de nouveaux faits qui les ont défigurés. Si dans le court espace de trente ans les boucaniers de Saint-Domingue perdirent presque toute trace du christianisme, quelle confiance pouvons-nous avoir dans des traditions orales qui nous sont racontées par des sauvages dépourvus de l’usage des lettres, et continuellement occupés de guerre ou de chasse ?

Le champ des recherches a donc des limites extrêmement resserrées mais il ne nous est pas entièrement fermé. Les monuments qui restent offrent une ample matière aux investigations. On peut avoir recours au langage, à la personne, aux usages de l’homme rouge, pour éclaircir son origine et son histoire ; et la géologie du pays peut même dans quelques cas s’employer avec succès pour répandre la lumière sur les objets que l’on examine.

Ayant eu quelques occasions d’observer par moi-même et de faire d’assez fréquentes recherches, je suis porté à croire que la partie occidentale des États-Unis, avant d’avoir été découverte et occupée par les Européens, a été habitée par une nation nombreuse ayant des demeures fixes, et beaucoup plus avancée dans la civilisation que les tribus indiennes actuelles. Peut-être ne se hasarderoit-on pas trop en disant que son état ne différoit pas beaucoup de celui des Mexicains et des Péruviens quand les Espagnols les visitèrent pour la première fois. En cherchant à éclaircir ce sujet, je me bornerai à cet état ; quelquefois je porterai mes regards au delà, et j’éviterai autant que je le pourrai de traiter les points qui ont déjà été discutés.

Le Township de Pompey, dans le comté d’Onondaga, est sur le terrain le plus élevé de cette contrée ; car il sépare les eaux qui coulent dans la baie de Chesapeake de celles qui vont se rendre dans le golfe Saint-Laurent. Les parties les plus hautes de ce Township offrent des restes d’anciens établissements, et l’on reconnoît dans différents endroits des vestiges d’une population nombreuse. Environ à deux milles au sud de Manlieu-Ignare, j’ai examiné dans le Township de Pompey les restes d’une ancienne cité ; ils sont indiqués d’une manière visible par de grands espaces de terreau noir disposés par intervalles réguliers à peu de distance les uns des autres, où j’ai