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cipation. Les moines ont été dans les troubles plutôt des soldats que des religieux. Vingt années de révolution ont créé des droits, des propriétés, des places qu’on ne détruiroit pas facilement ; et la génération nouvelle, née dans le cours de la révolution des colonies, est pleine d’ardeur pour l’indépendance. L’Espagne se vantoit jadis que le soleil ne se couchoit pas sur ses États : espérons que la liberté ne cessera plus d’éclairer les hommes.

Mais pouvoit-on établir cette liberté dans l’Amérique espagnole par un moyen plus facile et plus sûr que celui dont on s’est servi : moyen qui, appliqué en temps utile lorsque les événements n’avoient encore rien décidé, auroit fait disparoître une foule d’obstacles ? Je le pense.

Selon moi, les colonies espagnoles auroient beaucoup gagné à se former en monarchies constitutionnelles. La monarchie représentative est à mon avis un gouvernement fort supérieur au gouvernement républicain, parce qu’il détruit les prétentions individuelles au pouvoir exécutif, et qu’il réunit l’ordre et la liberté.

Il me semble encore que la monarchie représentative eût été mieux appropriée au génie espagnol, à l’état des personnes et des choses, dans un pays où la grande propriété territoriale domine, où le nombre des Européens est petit, celui des nègres et des Indiens considérable, où l’esclavage est d’usage public, où la religion de l’État est la religion catholique, où l’instruction surtout manque totalement dans les classes populaires.

Les colonies espagnoles indépendantes de la mère-patrie formées en grandes monarchies représentatives auroient achevé leur éducation politique à l’abri des orages qui peuvent encore bouleverser les républiques naissantes. Un peuple qui sort tout à coup de l’esclavage en se précipitant dans la liberté peut tomber dans l’anarchie, et l’anarchie enfante presque toujours le despotisme.

Mais s’il existoit un système propre à prévenir ces divisions, on me dira sans doute : « Vous avez passé au pouvoir : vous êtes-vous contenté de désirer la paix, le bonheur, la liberté de l’Amérique espagnole ? Vous êtes-vous borné à de stériles vœux ? »

Ici j’anticiperai sur mes Mémoires, et je ferai une confession.

Lorsque Ferdinand fut délivré à Cadix, et que Louis XVIII eut écrit au monarque espagnol pour l’engager à donner un gouvernement libre à ses peuples, ma mission me sembla finie. J’eus l’idée de remettre au roi le portefeuille des affaires étrangères, en suppliant Sa Majesté de le rendre au vertueux duc de Montmorency. Que de soucis je me serois épargnés ! que de divisions j’aurois peut-être épargnées à l’opinion publique ! L’amitié et le pouvoir n’auroient pas donné un