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peuples libres et des peuples esclaves ; mais sous le cercle polaire et sous la ligne il y a des exigences de climat incontestables et qui doivent produire des effets permanents. Les nègres par cette nécessité seule seront toujours puissants, s’ils ne deviennent pas maîtres dans l’Amérique méridionale.

Les États-Unis se soulevèrent d’eux-mêmes, par lassitude du joug et amour de l’indépendance ; quand ils eurent brisé leurs entraves, ils trouvèrent en eux les lumières suffisantes pour se conduire. Une civilisation très-avancée, une éducation politique de vieille date, une industrie développée, les portèrent à ce degré de prospérité où nous les voyons aujourd’hui, sans qu’ils fussent obligés de recourir à l’argent et à l’intelligence de l’étranger.

Dans les républiques espagnoles les faits sont d’une tout autre nature.

Quoique misérablement administrées par la mère-patrie, le premier mouvement de ces colonies fut plutôt l’effet d’une impulsion étrangère que l’instinct de la liberté. La guerre de la révolution françoise le produisit. Les Anglois, qui depuis le règne de la reine Élisabeth n’avoient cessé de tourner leurs regards vers les Amériques espagnoles, dirigèrent en 1804 une expédition sur Buenos-Ayres ; expédition que fit échouer la bravoure d’un seul François, le capitaine Liniers.

La question pour les colonies espagnoles étoit alors de savoir si elles suivroient la politique du cabinet espagnol, alors allié à Buonaparte, ou si, regardant cette alliance comme forcée et contre nature, elles se détacheroient du gouvernement espagnol pour se conserver au roi d’Espagne.

Dès l’année 1790 Miranda avoit commencé à négocier avec l’Angleterre l’affaire de l’émancipation. Cette négociation fut reprise en 1797, 1801, 1804 et 1807, époque à laquelle une grande expédition se préparoit à Corck pour la Terre-Ferme. Enfin, Miranda fut jeté, en 1809, dans les colonies espagnoles ; l’expédition ne fut pas heureuse pour lui mais l’insurrection de Venezuela prit de la consistance, Bolivar l’étendit.

La question avoit changé pour les colonies et pour l’Angleterre ; l’Espagne s’étoit soulevée contre Buonaparte ; le régime constitutionnel avoit commencé à Cadix, sous la direction des cortès ; ces idées de la liberté étoient nécessairement reportées en Amérique par l’autorité des cortès mêmes.

L’Angleterre, de son côté, ne pouvoit plus attaquer ostensiblement les colonies espagnoles, puisque le roi d’Espagne, prisonnier en France,