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pagne, et qu’opprimoient de petits despotes appelés gouverneurs, une grande corruption de mœurs s’étoit introduite ; rien n’étoit plus commun que de rencontrer des ecclésiastiques entourés d’une famille dont ils ne cachoient pas l’origine. On a connu un habitant qui faisoit une spéculation de son commerce avec des négresses, et qui s’enriclîissoit en vendant les enfants qu’il avoit de ces esclaves.

Les formes démocratiques étoient si ignorées, le nom même d’une république étoit si étranger dans ces pays, que sans un volume de l’Histoire de Rollin on n’auroit pas su au Paraguay ce que c’étoit qu’un dictateur, des consuls et un sénat. À Guatimala, ce sont deux ou trois jeunes étrangers qui ont fait la constitution. Des nations chez lesquelles l’éducation politique est si peu avancée laissent toujours des craintes pour la liberté.

Les classes supérieures au Mexique sont instruites et distinguées ; mais comme le Mexique manque de ports, la population générale n’a pas été en contact avec les lumières de l’Europe.

La Colombie au contraire a, par l’excellente disposition de ses rivages, plus de communications avec l’étranger, et un homme remarquable s’est élevé dans son sein. Mais est-il certain qu’un soldat généreux puisse parvenir à imposer la liberté aussi facilement qu’il pourroit établir l’esclavage ? La force ne remplace point le temps : quand la première éducation politique manque à un peuple, cette éducation ne peut être que l’ouvrage des années. Ainsi la liberté s’élèveroit mal à l’abri de la dictature, et il seroit toujours à craindre qu’une dictature prolongée ne donnât à celui qui en seroit revêtu le goût de l’arbitraire perpétuel. On tourne ici dans un cercle vicieux. Une guerre civile existe dans la république de l’Amérique centrale.

La république Bolivienne et celle du Chili ont été tourmentées de révolutions : placées sur l’océan Pacifique, elles semblent exclues de la partie du monde la plus civilisée[1].

Buenos-Ayres a les inconvénients de sa latitude : il est trop vrai que la température de telle ou telle région peut être un obstacle au jeu et à la marche du gouvernement populaire. Un pays où les forces physiques de l’homme sont abattues par l’ardeur du soleil, où il faut se cacher pendant le jour et rester étendu presque sans mouvement sur une natte, un pays de cette nature ne favorise pas les délibérations du forum. Il ne faut sans doute exagérer en rien l’influence des climats ; on a vu tour à tour au même lieu, dans les zones tempérées, des

  1. Au moment où j’écris, les papiers publics de toutes les opinions annoncent les troubles, les divisions, les banqueroutes de ces diverses républiques.