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phore. Des temples et des maisons embellis de colonnes d’architecture grecque s’élèvent au milieu de ces bois, sur le bord de ces fleuves antiques ornements du désert. Ajoutez à cela de vastes collèges, des observatoires élevés pour la science dans le séjour de l’ignorance sauvage, toutes les religions, toutes les opinions vivant en paix, travaillant de concert à rendre meilleure l’espèce humaine et à développer son intelligence : tels sont les prodiges de la liberté.

L’abbé Raynal avoit proposé un prix pour la solution de cette question : « Quelle sera l’influence de la découverte du Nouveau Monde sur l’Ancien Monde ? »

Les écrivains se perdirent dans des calculs relatifs à l’exportation et l’importation des métaux, à la dépopulation de l’Espagne, à l’accroissement du commerce, au perfectionnement de la marine : personne, que je sache, ne chercha l’influence de la découverte de l’Amérique sur l’Europe dans l’établissement des républiques américaines. On ne voyoit toujours que les anciennes monarchies à peu près telles qu’elles étoient, la société stationnaire, l’esprit humain n’avançant ni ne reculant ; on n’avoit pas la moindre idée de la révolution qui dans l’espace de quarante années s’est opérée dans les esprits.

Le plus précieux des trésors que l’Amérique renfermoit dans son sein, c’étoit la liberté ; chaque peuple est appelé à puiser dans cette mine inépuisable. La découverte de la république représentative aux États-Unis est un des plus grands événements politiques du monde. Cet événement a prouvé, comme je l’ai dit ailleurs, qu’il y a deux espèces de liberté praticables : l’une appartient à l’enfance des peuples ; elle est fille des mœurs et de la vertu : c’étoit celle des premiers Grecs et des premiers Romains, c’étoit celle des sauvages de l’Amérique ; l’autre naît de la vieillesse des peuples ; elle est fille des lumières et de la raison : c’est cette liberté des États-Unis, qui remplace la liberté de l’Indien. Terre heureuse, qui, dans l’espace de moins de trois siècles a passé de l’une à l’autre liberté presque sans effort, et par une lutte qui n’a pas duré plus de huit années !

L’Amérique conservera-t-elle sa dernière espèce de liberté ? Les États-Unis ne se diviseront-ils pas ? N’aperçoit-on pas déjà les germes de ces divisions ? Un représentant de la Virginie n’a-t-il pas déjà soutenu la thèse de l’ancienne liberté grecque et romaine avec le système d’esclavage, contre un député du Massachusetts qui défendoit la cause de la liberté moderne sans esclaves, telle que le christianisme l’a faite ?

Les États de l’ouest, en s’étendant de plus en plus, trop éloignés des États de l’Atlantique, ne voudront-ils pas avoir un gouvernement à part ?