Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrain sur le bord de la rivière Rouge ; l’établissement se fit en 1812. La Compagnie du Nord-Ouest, ou du Canada, en prit ombrage : les deux compagnies, alliées à diverses tribus indiennes, et secondées des Bois brûlés, en vinrent aux mains. Cette petite guerre domestique, qui fut horrible, avoit lieu dans les déserts glacés de la baie d’Hudson : la colonie de lord Selkirk fut détruite au mois de juin 1815, précisément au moment où se donnoit la bataille de Waterloo. Sur ces deux théâtres, si différents par l’éclat et par l’obscurité, les malheurs de l’espèce humaine étoient les mêmes. Les deux compagnies, épuisées, ont senti qu’il valoit mieux s’unir que se déchirer : elles poussent aujourd’hui de concert leurs opérations, à l’ouest jusqu’à Colombia, au nord jusque sur les fleuves qui se jettent dans la mer Polaire.

En résumé, les plus fières nations de l’Amérique septentrionale n’ont conservé de leur race que la langue et le vêtement ; encore celui-ci est-il altéré : elles ont un peu appris à cultiver la terre et à élever des troupeaux. De guerrier fameux qu’il étoit, le sauvage du Canada est devenu berger obscur ; espèce de pâtre extraordinaire, conduisant ses cavales avec un casse-tête et ses moutons avec des flèches, Philippe, successeur d’Alexandre, mourut greffier à Rome ; un Iroquois chante et danse pour quelques pièces de monnoie à Paris : il ne faut pas voir le lendemain de la gloire.

En traçant ce tableau d’un monde sauvage, en parlant sans cesse du Canada et de la Louisiane, en regardant sur les vieilles cartes l’étendue des anciennes colonies françoises dans l’Amérique, j’étois poursuivi d’une idée pénible : je me demandois comment le gouvernement de mon pays avoit pu laisser périr ces colonies, qui seroient aujourd’hui pour nous une source inépuisable de prospérité.

De l’Acadie et du Canada à la Louisiane, de l’embouchure du Saint-Laurent à celle du Mississipi, le territoire de la Nouvelle-France entouroit ce qui forma dans l’origine la confédération des treize premiers États-Unis. Les onze autres États, le district de la Colombie, les territoires du Michigan, du Nord-Ouest, du Missouri, de l’Orégon et d’Arkansa, nous appartenoient ou nous appartiendroient comme ils appartiennent aujourd’hui aux États-Unis, par la cession des Anglois et des Espagnols, nos premiers héritiers dans le Canada et dans la Louisiane.

Prenez votre point de départ entre le 43e et le 44e degré de latitude nord, sur l’Atlantique, au cap Sable de la Nouvelle-Écosse, autrefois l’Acadie ; de ce point conduisez une ligne qui passe derrière les premiers États-Unis, le Maine, Vernon, New-York, la Pensylvanie, la Virginie, la Caroline et la Géorgie ; que cette ligne vienne par le Tennessée chercher le Mississipi et la Nouvelle-Orléans, qu’elle remonte