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vertes et des missions leur consacre à juste titre. De là cette prédilection que les sauvages témoignent pour les François, prédilection qu’ils trouvent naturellement dans le fond de leur âme, nourrie par les traditions que leurs pères ont laissées en faveur des premiers apôtres du Canada, alors la Nouvelle-France[1]. »

Cela confirme ce que j’ai écrit autrefois sur les missions du Canada. Le caractère brillant de la valeur françoise, notre désintéressement, notre gaieté, notre esprit aventureux, sympathisoient avec le génie des Indiens ; mais il faut convenir aussi que la religion catholique est plus propre à l’éducation du sauvage que le culte protestant.

Quand le christianisme commença au milieu d’un monde civilisé et des spectacles du paganisme, il fut simple dans son extérieur, sévère dans sa morale, métaphysique dans ses arguments, parce qu’il s’agissoit d’arracher à l’erreur des peuples séduits par les sens ou égarés par des systèmes de philosophie. Quand le christianisme passa des délices de Rome et des écoles d’Athènes aux forêts de la Germanie, il s’environna de pompes et d’images, afin d’enchanter la simplicité du barbare. Les gouvernements protestants de l’Amérique se sont peu occupés de la civilisation des sauvages : ils n’ont songé qu’à trafiquer avec eux : or, le commerce, qui accroît la civilisation parmi les peuples déjà civilisés, et chez lesquels l’intelligence a prévalu sur les mœurs, ne produit que la corruption chez les peuples où les mœurs sont supérieures à l’intelligence. La religion est évidemment la loi primitive : les pères Jogues, Lallemant et Brébeuf, étoient des législateurs d’une tout autre espèce que les traiteurs anglois et américains.

De même que les notions religieuses des sauvages se sont brouillées, les institutions politiques de ces peuples ont été altérées par l’irruption des Européens. Les ressorts du gouvernement indien étoient subtils et délicats ; le temps ne les avoit point consolidés ; la politique étrangère, en les touchant, les a facilement brisés. Ces divers conseils balançant leurs autorités respectives, ces contre-poids formés par les assistants, les sachems, les matrones, les jeunes guerriers, toute cette machine a été dérangée : nos présents, nos vices, nos armes, ont acheté, corrompu ou tué les personnages dont se composoient ces pouvoirs divers.

Aujourd’hui les tribus indiennes sont conduites tout simplement par un chef : celles qui se sont confédérées se réunissent quelquefois dans des diètes générales ; mais aucune loi ne réglant ces assemblées, elles se séparent presque toujours sans avoir rien arrêté : elles ont le

  1. Voyage de Beltrami, 1823.