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trouvé chez les sauvages du Canada, de la Nouvelle-Angleterre et des Florides, des commencements de toutes les coutumes et de toutes les lois des Grecs, des Romains et des Hébreux. Une civilisation d’une nature différente de la nôtre auroit pu reproduire les hommes de l’antiquité ou faire jaillir des lumières inconnues d’une source encore ignorée. Qui sait si nous n’eussions pas vu aborder un jour à nos rivages quelque Colomb américain venant découvrir l’Ancien Monde ?

La dégradation des mœurs indiennes a marché de pair avec la dépopulation des tribus. Les traditions religieuses sont devenues beaucoup plus confuses ; l’instruction, répandue d’abord par les missionnaires du Canada, a mêlé des idées étrangères aux idées natives des indigènes. On aperçoit aujourd’hui, au travers des fables grossières, les croyances chrétiennes défigurées. La plupart des sauvages portent des croix pour ornements, et les traiteurs protestants leur vendent ce que leur donnoient les missionnaires catholiques. Disons, à l’honneur de notre patrie et à la gloire de notre religion, que les Indiens s’étoient fortement attachés aux François ; qu’ils ne cessent de les regretter, et qu’une robe noire (un missionnaire) est encore en vénération dans les forêts américaines. Si les Anglois, dans leurs guerres avec les États-Unis, ont vu presque tous les sauvages s’enrôler sous la bannière britannique, c’est que les Anglois de Québec ont encore parmi eux des descendants des François, et qu’ils occupent le pays qu’Ononthio[1] a gouverné. Le sauvage continue de nous aimer dans le sol que nous avons foulé, dans la terre où nous fûmes ses premiers hôtes, et où nous avons laissé les tombeaux : en servant les nouveaux possesseurs du Canada, il reste fidèle à la France dans les ennemis des François.

Voici ce qu’on lit dans un Voyage récent fait aux sources du Mississipi. L’autorité de ce passage est d’autant plus grande, que l’auteur, dans un autre endroit de son Voyage, s’arrête pour argumenter contre les jésuites de nos jours :

« Pour rendre justice à la vérité, les missionnaires françois en général se sont toujours distingués partout par une vie exemplaire et conforme à leur état. Leur bonne foi religieuse, leur charité apostolique, leur douceur insinuante, leur patience héroïque, et leur éloignement du fanatisme et du rigorisme, fixent dans ces contrées des époques édifiantes dans les fastes du christianisme ; et pendant que la mémoire des del Vilde, des Vodilla, etc., sera toujours en exécration dans tous les cœurs vraiment chrétiens, celle des Daniel, des Brébeuf, etc., ne perdra jamais de la vénération que l’histoire des décou-

  1. La grande Montagne. Nom sauvage des gouverneurs françois du Canada.