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vertu. Un jeune homme ne s’asseyoit jamais devant un vieillard : le respect pour l’âge étoit pareil à celui que Lycurgue avoit fait naître à Lacédémone. On accoutumoit la jeunesse à supporter les plus grandes privations ainsi qu’à braver les plus grands périls. De longs jeûnes commandés par la politique au nom de la religion, des chasses dangereuses, l’exercice continuel des armes, des jeux mâles et virils, avoient donné au caractère de l’Iroquois quelque chose d’indomptable. Souvent de petits garçons s’attachoient les bras ensemble, mettoient un charbon ardent sur leurs bras liés, et luttoient à qui soutiendroit plus longtemps la douleur. Si une jeune fille commettoit une faute, et que sa mère lui jetât de l’eau au visage, cette seule réprimande portoit quelquefois la jeune fille à s’étrangler.

L’Iroquois méprisoit la douleur comme la vie : un sachem de cent années affrontoit les flammes du bûcher ; il excitoit les ennemis à redoubler de cruauté ; il les défioit de lui arracher un soupir. Cette magnanimité de la vieillesse n’avoit pour but que de donner un exemple aux jeunes guerriers et de leur apprendre à devenir dignes de leurs pères.

Tout se ressentoit de cette grandeur chez ce peuple : sa langue, presque tout aspirée, étonnoit l’oreille. Quand un Iroquois parloit, on eût cru ouïr un homme qui, s’exprimant avec effort, passoit successivement des intonations les plus sourdes aux intonations les plus élevées.

Tel étoit l’Iroquois avant que l’ombre et la destruction de la civilisation européenne se fussent étendues sur lui.

Bien que j’aie dit que le droit civil et le droit criminel sont à peu près inconnus des Indiens, l’usage en quelques lieux a suppléé à la loi.

Le meurtre, qui chez les Francs se rachetoit par une composition pécuniaire en rapport avec l’état des personnes, ne se compense chez les sauvages que par la mort du meurtrier. Dans l’Italie du moyen âge, les familles respectives prenoient fait et cause pour tout ce qui concernoit leurs membres : de là ces vengeances héréditaires qui divisoient la nation lorsque les familles ennemis étoient puissantes.

Chez les peuplades du nord de l’Amérique, la famille de l’homicide ne vient pas à son secours, mais les parents de l’homicide se font un devoir de le venger. Le criminel que la loi ne menace pas, que ne défend pas la nature, ne rencontrant d’asile ni dans les bois, où les alliés du mort le poursuivent, ni chez les tribus étrangères, qui le livreroient, ni à son foyer domestique, qui ne le sauveroit pas, devient si misérable, qu’un tribunal vengeur lui seroit un bien. Là au moins il y