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Les cinq cantons nommoient de temps en temps des députés qui renouveloient l’alliance générale. Dans cette diète, tenue au milieu des bois, on traitoit de quelques grandes entreprises pour l’honneur et la sûreté de toute la nation. Chaque député faisoit un rapport relatif au canton qu’il représentoit, et l’on délîbéroit sur des moyens de prospérité commune.

Les Iroquois étoient aussi fameux par leur politique que par leurs armes. Placés entre les Anglois et les François, ils s’aperçurent bientôt de la rivalité de ces deux peuples. Ils comprirent qu’ils seroient recherchés par l’un et par l’autre : ils firent alliance avec les Anglois, qu’ils n’aimoient pas, contre les François, qu’ils estimoient, mais qui s’étoient unis aux Algonquins et aux Hurons. Cependant, ils ne vouloient pas le triomphe complet d’un des deux partis étrangers : ainsi les Iroquois étoient prêts à disperser la colonie françoise du Canada, lorsqu’un ordre du conseil des sachems arrêta l’armée et la força de revenir ; ainsi les François se voyoient au moment de conquérir la Nouvelle-Jersey, et d’en chasser les Anglois, lorsque les Iroquois firent marcher leurs cinq nations au secours des Anglois, et les sauvèrent.

L’Iroquois ne conservoit de commun avec le Huron que le langage : le Huron, gai, spirituel, volage, d’une valeur brillante et téméraire, d’une taille haute et élégante, avoit l’air d’être né pour être l’allié des François.

L’Iroquois étoit au contraire d’une forte stature : poitrine large, jambes musculaires, bras nerveux. Les grands yeux ronds de l’Iroquois étinceloient d’indépendance ; tout son air étoit celui d’un héros ; on voyoit reluire sur son front les hautes combinaisons de la pensée et les sentiments élevés de l’âme. Cet homme intrépide ne fut point étonné des armes à feu lorsque pour la première fois on en usa contre lui ; il tint ferme au sifflement des balles et au bruit du canon, comme s’il les eût entendus toute sa vie ; il n’eut pas l’air d’y faire plus d’attention qu’à un orage. Aussitôt qu’il se put procurer un mousquet, il s’en servit mieux qu’un Européen. Il n’abandonna pas pour cela le casse-tête, le couteau, l’arc et la flèche ; mais il y ajouta la carabine, le pistolet, le poignard et la hache ; il sembloit n’avoir jamais assez d’armes pour sa valeur. Doublement paré des instruments meurtriers de l’Europe et de l’Amérique, avec sa tête ornée de panaches, ses oreilles découpées, son visage barbouillé de noir, ses bras teints de sang, ce noble champion du Nouveau Monde devint aussi redoutable à voir qu’à combattre, sur le rivage qu’il défendit pied à pied contre l’étranger.

C’étoit dans l’éducation que les Iroquois plaçoient la source de leur