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alliance avec les Muscogulges. Ceux-ci étant les plus forts forcèrent ceux-là d’entrer dans une confédération, en vertu de laquelle les Siminoles envoient des députés au grand village des Muscogulges, et se trouvent ainsi gouvernés en partie par le mico de ces derniers.

Les deux nations réunies furent appelées par les Européens la nation des Creeks, et divisées par eux en Creeks supérieurs, les Muscogulges, et en Creeks inférieurs, les Siminoles. L’ambition des Muscogulges n’étant pas satisfaite, ils portèrent la guerre chez les Chéroquois et chez les Chicassais, et les obligèrent d’entrer dans l’alliance commune ; confédération aussi célèbre dans le midi de l’Amérique septentrionale que celle des Iroquois dans le nord. N’est-il pas singulier de voir des sauvages tenter la réunion des Indiens dans une république fédérative, au même lieu où les Européens dévoient établir un gouvernement de cette nature ?

Les Muscogulges, en faisant des traités avec les blancs, ont stipulé que ceux-ci ne vendroient point d’eau-de-vie aux nations alliées. Dans les villages des Creeks on ne souffroit qu’un seul marchand européen : il y résidoit sous la sauvegarde publique. On ne violoit jamais à son égard les lois de la plus exacte probité ; il alloit et venoit, en sûreté de sa fortune comme de sa vie.

Les Muscogulges sont enclins à l’oisiveté et aux fêtes ; ils cultivent la terre ; ils ont des troupeaux et des chevaux de race espagnole ; ils ont aussi des esclaves. Le serf travaille aux champs, cultive dans le jardin les fruits et les fleurs, tient la cabane propre et prépare les repas. Il est logé, vêtu et nourri comme ses maîtres. S’il se marie, ses enfants sont libres ; ils rentrent dans leur droit naturel par la naissance. Le malheur du père et de la mère ne passe point à leur postérité ; les Muscogulges n’ont point voulu que la servitude fût héréditaire : belle leçon que les sauvages ont donnée aux hommes civilisés !

Tel est néanmoins l’esclavage : quelle que soit sa douceur, il dégrade les vertus. Le Muscogulge, hardi, bruyant, impétueux, supportant à peine la moindre contradiction, est servi par le Yamase, timide, silencieux, patient, abject. Ce Yamase, ancien maître des Florides, est cependant de race indienne : il combattit en héros pour sauver son pays de l’invasion des Muscogulges ; mais la fortune le trahit. Qui a mis entre le Yamase d’autrefois et le Yamase d’aujourd’hui, entre ce Yamase vaincu et ce Muscogulge vainqueur, une si grande différence ? Deux mots : liberté et servitude.

Les villages muscogulges sont bâtis d’une manière particulière : chaque famille a presque toujours quatre maisons ou quatre cabanes pareilles. Ces quatre cabanes se font face les unes aux autres, et for-