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gnon lui dit : « Prends garde, le mico te voit ; » le jeune homme s’arrête : c’est l’action du despotisme invisible de la vertu.

Le mico jouit cependant d’une prérogative dangereuse. Les moissons chez les Muscogulges se font en commun. Chaque famille, après avoir reçu son lot, est obligée d’en porter une partie dans un grenier public, où le mico puise à volonté. L’abus d’un pareil privilège produisit la tyrannie des soleils des Natchez, comme nous venons de le voir.

Après le mico, la plus grande autorité de l’État réside dans le conseil des vieillards. Ce conseil décide de la paix et de la guerre, et applique les ordres du mico : institution politique singulière. Dans la monarchie des peuples civilisés, le roi est le pouvoir exécutif, et le conseil ou l’assemblée nationale, le pouvoir législatif ; ici, c’est l’opposé : le monarque fait les lois, et le conseil les exécute. Ces sauvages ont peut-être pensé qu’il y avoit moins de péril à investir un conseil de vieillards du pouvoir exécutif qu’à remettre ce pouvoir aux mains d’un seul homme. D’un autre côté, l’expérience ayant prouvé qu’un seul homme d’un âge mûr, d’un esprit réfléchi, élabore mieux des lois qu’un corps délibérant, les Muscogulges ont placé le pouvoir législatif dans le roi.

Mais le conseil des Muscogulges a un vice capital : il est sous la direction immédiate du grand jongleur, qui le conduit par la crainte des sortilèges et par la divination des songes. Les prêtres forment chez cette nation un collège redoutable, qui menace de s’emparer des divers pouvoirs.

Le chef de guerre, indépendant du mico, exerce une puissance absolue sur la jeunesse année. Néanmoins, si la nation est dans un péril imminent, le mico devient pour le temps limité général au dehors, comme il est magistrat au dedans.

Tel est, ou plutôt tel étoit le gouvernement muscogulge, considéré en lui-même et à part. Il a d’autres rapports comme gouvernement fédératif.

Les Muscogulges, nation fière et ambitieuse, vinrent de l’ouest, et s’emparèrent de la Floride après avoir extirpé les Yamases, ses premiers habitants[1]. Bientôt après, les Siminoles, arrivant de l’est, firent

  1. Ces traditions des migrations indiennes sont obscures et contradictoires. Quelques hommes instruits regardent les tribus des Florides comme un débris de la grande nation des Allighewis, qui habitoient les vallées du Mississipi et de l’Ohio, et que chassèrent, vers les xiie et xiiie siècles, les Lennilénaps (les Iroquois et les sauvages Delawares), horde nomade et belliqueuse, venue du nord et de l’ouest, c’est-à-dire des côtes voisines du détroit de Behring.