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qu’ils ne quittèrent qu’après la chute du trône de Montezume. L’époque de l’émigration des Natchez concorde avec celle des Chicassais, qui venoient du Pérou, également chassés de leur terre natale par l’invasion des Espagnols.

Un chef surnommé le soleil gouvernoit les Natchez : ce chef prétendoit descendre de l’astre du jour. La succession au trône avoit lieu par les femmes : ce n’étoit pas le fils même du soleil qui lui succédoit, mais le fils de sa sœur ou de sa plus proche parente. Cette femme-chef, tel étoit son nom, avoit avec le soleil une garde de jeunes gens appelés allouez.

Les dignitaires au-dessous du soleil étoient les deux chefs de guerre, les deux prêtres, les deux officiers pour les traités, l’inspecteur des ouvrages et des greniers publics, homme puissant, appelé le chef de la farine, et les quatre maîtres des cérémonies.

La récolte, faite en commun et mise sous la garde du soleil, fut dans l’origine la cause principale de l’établissement de la tyrannie. Seul dépositaire de la fortune publique, le monarque en profita pour se faire des créatures : il donnoit aux uns aux dépens des autres ; il inventa cette hiérarchie de places qui intéressent une foule d’hommes au pouvoir par la complicité dans l’oppression. Le soleil s’entoura de satellites prêts à exécuter ses ordres. Au bout de quelques générations, des classes se formèrent dans l’État : ceux qui descendoient des généraux ou des officiers des allouez se prétendirent nobles ; on les crut. Alors furent inventées une multitude de lois : chaque individu se vit obligé de porter au soleil une partie de sa chasse ou de sa pêche. Si celui-ci commandoit tel ou tel travail, on étoit tenu de l’exécuter sans en recevoir de salaire. En imposant la corvée, le soleil s’empara du droit de juger. « Qu’on me défasse de ce chien, » disoit-il, et ses gardes obéissoient.

Le despotisme du soleil enfanta celui de la femme-chef, et ensuite celui des nobles. Quand une nation devient esclave, il se forme une chaîne de tyrans depuis la première classe jusqu’à la dernière. L’arbitraire du pouvoir de la femme-chef prit le caractère du sexe de cette souveraine ; il se porta du côté des mœurs. La femme-chef se crut maîtresse de prendre autant de maris et d’amants qu’elle le voulut ; elle faisoit ensuite étrangler les objets de ses caprices. En peu de temps il fut admis que le jeune soleil en parvenant au trône pouvoit faire étrangler son père, lorsque celui-ci n’étoit pas noble.

Cette corruption de la mère de l’héritier du trône descendit aux autres femmes. Les nobles pouvoient abuser des vierges, et même des jeunes épouses, dans toute la nation. Le soleil avoit été jusqu’à