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Les délibérations du conseil sont marquées dans des colliers de diverses couleurs, archives de l’État qui renferment les traités de guerre, de paix et d’alliance, avec toutes les conditions et clauses de ces traités. D’autres colliers contiennent les harangues prononcées dans les divers conseils. J’ai mentionné ailleurs la mémoire artificielle dont usoient les Iroquois pour retenir un long discours. Le travail se partageoit entre des guerriers qui, au moyen de quelques osselets, apprenoient par cœur, ou plutôt écrivoient dans leur mémoire la partie du discours qu’ils étoient chargés de reproduire[1].

Les arrêtés des sachems sont quelquefois gravés sur des arbres en signes énigmatiques. Le temps, qui ronge nos vieilles chroniques, détruit également celles des sauvages, mais d’une autre manière ; il étend une nouvelle écorce sur le papyrus qui garde l’histoire de l’Indien : au bout d’un petit nombre d’années, l’Indien et son histoire ont disparu à l’ombre du même arbre.

Passons maintenant à l’histoire des institutions particulières des gouvernements indiens, en commençant par le despotisme.

Il faut remarquer d’abord que partout où le despotisme est établi, règne une espèce de civilisation physique, telle qu’on la trouve chez la plupart des peuples de l’Asie, et telle qu’elle existoit au Pérou et au Mexique. L’homme qui ne peut plus se mêler des affaires publiques, et qui livre sa vie à un maître comme une brute ou comme un enfant, a tout le temps de s’occuper de son bien-être matériel. Le système de l’esclavage soumettant à cet homme d’autres bras que les siens, ces machines labourent son champ, embellissent sa demeure, fabriquent ses vêtements et préparent son repas. Mais, parvenue à un certain degré, cette civilisation du despotisme reste stationnaire ; car le tyran supérieur, qui veut bien permettre quelques tyrannies particulières, conserve toujours le droit de vie et de mort sur ses sujets, et ceux-ci ont soin de se renfermer dans une médiocrité qui n’excite ni la cupidité ni la jalousie du pouvoir.

Sous l’empire du despotisme, il y a donc commencement de luxe et d’administration, mais dans une mesure qui ne permet pas à l’industrie de se développer, ni au génie de l’homme d’arriver à la liberté par les lumières.

Ferdinand de Soto trouva des peuples de cette nature dans les Florides, et vint mourir au bord du Mississipi. Sur ce grand fleuve s’étendoit la domination des Natchez. Ceux-ci étoient originaires du Mexique,

  1. On peut voir dans Les Natchez la description d’un conseil de sauvages, tenu sur le rocher du Lac : les détails en sont rigoureusement historiques.