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on trace, à l’aide d’un étroit couteau, un cercle dans le crâne, autour de la chevelure : ce trophée est souvent enlevé avec tant d’adresse, que la cervelle reste à découvert sans avoir été entamée par la pointe de l’instrument.

Lorsque deux partis ennemis se présentent en rase campagne, et que l’un est plus foible que l’autre, le plus foible creuse des trous dans la terre, il y descend et s’y bat, ainsi que dans ces villes de guerre dont les ouvrages, presque de niveau avec le sol, présentent peu de surface au boulet. Les assiégeants lancent leurs flèches comme des bombes, avec tant de justesse, qu’elles retombent sur la tête des assiégés.

Des honneurs militaires sont décernés à ceux qui ont abattu le plus d’ennemis : on leur permet de porter des plumes de killiou. Pour éviter les injustices, les flèches de chaque guerrier portent une marque particulière : en les retirant du corps de la victime, on connoît la main qui les a lancées.

L’arme à feu ne peut rendre témoignage de la gloire de son maître. Lorsque l’on tue avec la balle, le casse-tête ou la hache, c’est par le nombre des chevelures enlevées que les exploits sont comptés.

Pendant le combat, il est rare que l’on obéisse au chef de guerre, qui lui-même ne cherche qu’à se distinguer personnellement. Il est rare que les vainqueurs poursuivent les vaincus : ils restent sur le champ de bataille à dépouiller les morts, à lier les prisonniers, à célébrer le triomphe par des danses et des chants : on pleure les amis que l’on a perdus : leurs corps sont exposés avec de grandes lamentations sur les branches des arbres : les corps des ennemis demeurent étendus dans la poussière.

Un guerrier détaché du camp porte à la nation la nouvelle de la victoire et du retour de l’armée[1] : les vieillards s’assemblent ; le chef de guerre fait au conseil le rapport de l’expédition : d’après ce rapport on se détermine à continuer la guerre ou à négocier la paix.

Si l’on se décide à la paix, les prisonniers sont conservés comme moyen de la conclure : si l’on s’obstine à la guerre, les prisonniers sont livrés au supplice. Qu’il me soit permis de renvoyer les lecteurs à l’épisode d’Atala et aux Natchez pour le détail. Les femmes se montront ordinairement cruelles dans ces vengeances : elles déchirent les prisonniers avec leurs ongles, les percent avec les instruments des travaux domestiques, et apprêtent le repas de leur chair. Ces chairs se mangent grillées ou bouillies, et les cannibales connoissent les parties

  1. Ce retour est décrit dans le xie livre des Natchez.