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enchanter par des prestiges aussi grossiers. Le sauvage n’aperçoit dans les jongleries de ses prêtres que l’intervention du Grand-Esprit ; il ne rougit point d’invoquer à son aide celui qui a fait la plaie et qui peut la guérir.

Cependant les femmes ont préparé le festin du départ ; ce dernier repas est composé de chair de chien comme le premier. Avant de toucher au mets sacré, le chef s’adresse à l’assemblée :

« mes frères,

« Je ne suis pas encore un homme, je le sais, cependant on n’ignore pas que j’ai vu quelquefois l’ennemi. Nous avons été tués dans la dernière guerre ; les os de nos compagnons n’ont point été garantis des mouches ; il les faut aller couvrir. Comment avons-nous pu rester si longtemps sur nos nattes ? Le manitou de mon courage m’ordonne de venger l’homme. Jeunesse, ayez du cœur. »

Le chef entonne la chanson du manitou des combats[1] ; les jeunes gens en répètent le refrain. Après le cantique, le chef se retire au sommet d’une éminence, se couche sur une peau, tenant à la main un calumet rouge dont le fourneau est tourné du côté du pays ennemi. On exécute les danses et les pantomimes de la guerre. La première s’appelle la danse de la découverte.

Un Indien s’avance seul et à pas lents au milieu des spectateurs ; il représente le départ des guerriers : on le voit marcher, et puis camper au déclin du jour. L’ennemi est découvert ; on se traîne sur les mains pour arriver jusqu’à lui : attaque, mêlée, prise de l’un, mort de l’autre, retraite précipitée ou tranquille, retour douloureux ou triomphant.

Le guerrier qui exécute cette pantomime y met fin par un chant en son honneur et à la gloire de sa famille.

« Il y a vingt neiges que je fis douze prisonniers ; il y a dix neiges que je sauvai le chef. Mes ancêtres étoient braves et fameux. Mon grand-père étoit la sagesse de la tribu et le rugissement de la bataille ; mon père étoit un pin dans sa force. Ma trisaïeule fut mère de cinq guerriers ; ma grand’mère valoit seule un conseil de sachems ; ma mère fait de la sagamité excellente. Moi je suis plus fort, plus sage que tous mes aïeux. » C’est la chanson de Sparte : Nous avons été jadis jeunes, vaillants et hardis.

Après ce guerrier, les autres se lèvent et chantent pareillement

  1. Voyez Les Natchez.