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plumes, le tout peint en rouge. Les poteaux sont placés au septentrion, à l’orient, au midi ou à l’occident de la place publique, selon le point géographique d’où la bataille doit venir.

Cela fait, on présente aux guerriers la médecine de la guerre, vomitif violent, délayé dans deux pintes d’eau qu’il faut avaler d’un trait. Les jeunes gens se dispersent aux environs, mais sans trop s’écarter. Le chef qui doit les commander, après s’être frotté le cou et le visage de graisse d’ours et de charbon pilé, se retire à l’étuve, où il passe deux jours entiers à suer, à jeûner et à observer ses songes. Pendant ces deux jours, il est défendu aux femmes d’approcher des guerriers ; mais elles peuvent parler au chef de l’expédition, qu’elles visitent, afin d’obtenir de lui une part du butin fait sur l’ennemi, car les sauvages ne doutent jamais du succès de leurs entreprises.

Ces femmes portent différents présents qu’elles déposent aux pieds du chef. Celui-ci note avec des graines ou des coquillages les prières particulières : une sœur réclame un prisonnier pour lui tenir lieu d’un frère mort dans les combats ; une matrone exige des chevelures pour se consoler de la perte de ses parents ; une veuve requiert un captif pour mari, ou une veuve étrangère pour esclave ; une mère demande un orphelin pour remplacer l’enfant qu’elle a perdu.

Les deux jours de retraite écoulés, les jeunes guerriers se rendent à leur tour auprès du chef de guerre : ils lui déclarent leur dessein de prendre part à l’expédition ; car, bien que le conseil ait résolu la guerre, cette résolution ne lie personne, l’engagement est purement volontaire.

Tous les guerriers se barbouillent de noir et de rouge de la manière la plus capable, selon eux, d’épouvanter l’ennemi. Ceux-ci se font des barres longitudinales ou transversales sur les joues ; ceux-là, des marques rondes ou triangulaires ; d’autres y tracent des figures de serpents. La poitrine découverte et les bras nus d’un guerrier offrent l’histoire de ses exploits : des chiffres particuliers expriment le nombre de chevelures qu’il a enlevées, les combats où il s’est trouvé, les dangers qu’il a courus. Ces hiéroglyphes, imprimés dans la peau en points bleus, restent ineffaçables : ce sont des piqûres fines, brûlées avec de la gomme de pin.

Les combattants, entièrement nus ou vêtus d’une tunique sans manches, ornent de plumes la seule touffe de cheveux qu’ils conservent sur le sommet de la tête. À leur ceinture de cuir est passé le couteau pour découper le crâne ; le casse-tête pend à la même ceinture : dans la main droite ils tiennent l’arc ou la carabine ; sur l’épaule gauche ils partent le carquois garni de flèches, ou la corne remplie