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Quinze ans est l’âge légal du service militaire. La guerre est la grande affaire des sauvages et tout le fond de leur politique ; elle a quelque chose de plus légitime que la guerre chez les peuples civilisés, parce qu’elle est presque toujours déclarée pour l’existence même du peuple qui l’entreprend : il s’agit de conserver des pays de chasse ou des terrains propres à la culture. Mais, par la raison même que l’Indien ne s’applique que pour vivre à l’art qui lui donne la mort, il en résulte des fureurs implacables entre les tribus : c’est la nourriture de la famille qu’on se dispute. Les haines deviennent individuelles : comme les armées sont peu nombreuses, comme chaque ennemi connoît le nom et le visage de son ennemi, on se bat encore avec acharnement par des antipathies de caractère et par des ressentiments particuliers ; ces enfants du même désert portent dans leurs querelles étrangères quelque chose de l’animosité des troubles civils.

À cette première et générale cause de guerre parmi les sauvages viennent se mêler d’autres raisons de prises d’armes, tirées de quelque motif superstitieux, de quelques dissensions domestiques, de quelque intérêt né du commerce des Européens. Ainsi, tuer des femelles de castor étoit devenu chez les hordes du nord de l’Amérique un sujet légitime de guerre.

La guerre se dénonce d’une manière extraordinaire et terrible. Quatre guerriers, peints en noir de la tête aux pieds, se glissent dans les plus profondes ténèbres chez le peuple menacé : parvenus aux portes des cabanes, ils jettent au foyer de ces cabanes un casse-tête peint en rouge, sur le pied duquel sont marqués, par des signes connus des sachems, les motifs des hostilités : les premiers Romains lançoient une javeline sur le territoire ennemi. Ces hérauts d’armes indiens disparoissent aussitôt dans la nuit comme des fantômes, en poussant le fameux cri ou woop de guerre. On le forme en appuyant une main sur la bouche et frappant les lèvres, de manière à ce que le son échappé en tremblotant, tantôt plus sourd, tantôt plus aigu, se termine par une espèce de rugissement dont il est impossible de se faire une idée.

La guerre dénoncée, si l’ennemi est trop foible pour la soutenir, il fuit ; s’il se sent fort, il l’accepte : commencent aussitôt les préparatifs et les cérémonies d’usage.

Un grand feu est allumé sur la place publique, et la chaudière de la guerre placée sur le bûcher : c’est la marmite du janissaire. Chaque combattant y jette quelque chose de ce qui lui appartient. On plante aussi deux poteaux où l’on suspend des flèches, des casse-têtes et des