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contre la fumée, on n’a d’autre ressource que de se coucher sur le ventre, le visage enseveli dans des peaux. Les chiens affamés hurlent, passent et repassent sur le corps de leurs maîtres : lorsque ceux-ci croient aller prendre un chétif repas, le dogue, plus alerte, l’engloutit.

Après des fatigues inouïes, on arrive à des plaines couvertes de forêts de pins, retraite des ours. Les fatigues et les périls sont oubliés ; l’action commence.

Les chasseurs se divisent et embrassent, en se plaçant à quelque distance les uns des autres, un grand espace circulaire. Rendus aux différents points du cercle, ils marchent, à l’heure fixée, sur un rayon qui tend au centre, examinant avec soin sur ce rayon les vieux arbres qui recèlent les ours : l’animal se trahit par la marque que son haleine laisse dans la neige.

Aussitôt que l’Indien a découvert les traces qu’il cherche, il appelle ses compagnons, grimpe sur le pin, et, à dix ou douze pieds de terre, trouve l’ouverture par laquelle le solitaire s’est retiré dans sa cellule : si l’ours est endormi, on lui fend la tête ; deux autres chasseurs, montant à leur tour sur l’arbre, aident le premier à retirer le mort de sa niche et à le précipiter.

Le guerrier explorateur et vainqueur se hâte alors de descendre : il allume sa pipe, la met dans la gueule de l’ours, et soufflant dans le fourneau du calumet, remplit de fumée le gosier du quadrupède. Il adresse ensuite des paroles à l’âme du trépassé ; il le prie de lui pardonner sa mort, de ne point lui être contraire dans les chasses qu’il pourroit entreprendre. Après cette harangue, il coupe le filet de la langue de l’ours, pour le brûler au village, afin de découvrir, par la manière dont il pétillera dans la flamme, si l’esprit de l’ours est ou n’est pas apaisé.

L’ours n’est pas toujours renfermé dans le tronc d’un pin ; il habite souvent un tanière dont il a bouché l’entrée. Cet ermite est quelquefois si replet, qu’il peut à peine marcher, quoiqu’il ait vécu une partie de l’hiver sans nourriture.

Les guerriers partis des différents points du cercle, et dirigés vers le centre, s’y rencontrent enfin, apportant, traînant ou chassant leur proie : on voit quelquefois arriver ainsi de jeunes sauvages qui poussent devant eux, avec une baguette, un gros ours trottant pesamment sur la neige. Quand ils sont las de ce jeu, ils enfoncent un couteau dans le cœur du pauvre animal.

La chasse de l’ours, comme toutes les autres chasses, finit par un repas sacré. L’usage est de faire rôtir un ours tout entier et de le servir aux convives, assis en rond sur la neige, à l’abri des pins, dont les