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moitié vivant, afin que son poil aille envelopper au delà des mers la tête d’un habitant de Londres ou de Paris.

L’expédition contre les castors terminée, on revient à la hutte des chasses, en chantant des hymnes au Grand-Castor, au bruit du tambour et du chichikoué.

L’écorchement se fait en commun. On plante des poteaux : deux chasseurs se placent à chaque poteau, qui porte deux castors suspendus par les jambes de derrière. Au commandement du chef, on ouvre le ventre des animaux tués et on les dépouille. S’il se trouve une femelle parmi les victimes, la consternation est grande ; non-seulement c’est un crime religieux de tuer les femelles du castor, mais c’est encore un délit politique, une cause de guerre entre les tribus. Cependant l’amour du gain, la passion des liqueurs fortes, le besoin d’armes à feu, l’ont emporté sur la force de la superstition et sur le droit établi ; des femelles en grande quantité ont été traquées, ce qui produira tôt ou tard l’extinction de leur race.

La chasse finit par un repas composé de la chair des castors. Un orateur prononce l’éloge des défunts comme s’il n’avoit pas contribué à leur mort : il raconte tout ce que j’ai rapporté de leurs mœurs ; il loue leur esprit et leur sagesse : « Vous n’entendrez plus, dit-il, la voix des chefs qui vous commandoient et que vous aviez choisis entre tous les guerriers castors pour vous donner des lois. Votre langage, que les jongleurs savent parfaitement, ne sera plus parlé au fond du lac ; vous ne livrerez plus de batailles aux loutres, vos cruels ennemis. Non, castors ! mais vos peaux serviront à acheter des armes, nous porterons vos jambons fumés à nos enfants, nous empêcherons nos chiens de briser vos os, qui sont si durs. »

Tous les discours, toutes les chansons des Indiens, prouvent qu’ils s’associent aux animaux, qu’ils leur prêtent un caractère et un langage, qu’ils les regardent comme des instituteurs, comme des êtres doués d’une âme intelligente. L’Écriture offre souvent l’instinct des animaux en exemple à l’homme.

La chasse de l’ours est la chasse la plus renommée chez les sauvages. Elle commence par de longs jeûnes, des purgations sacrées et des festins, elle a lieu en hiver. Les chasseurs suivent des chemins affreux, le long des lacs, entre des montagnes dont les précipices sont cachés dans la neige. Dans les défilés dangereux, ils offrent le sacrifice réputé le plus puissant auprès du génie du désert : ils suspendent un chien vivant aux branches d’un arbre, et l’y laissent mourir enragé. Des huttes élevées chaque soir à la hâte ne donnent qu’un mauvais abri : on y est glacé d’un côté et brûlé de l’autre ; pour se défendre