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Dans chaque famille on conserve ce qu’on appelle le sac de médecine ; c’est un sac rempli de manitous et de différents simples d’une grande puissance. On porte ce sac à la guerre : dans les camps c’est un palladium, dans les cabanes un dieu Lare.

Les femmes pendant leurs couches se retirent à la cabane de purification ; elles y sont assistées par des matrones. Celles-ci, dans les accouchements ordinaires, ont les connoissances suffisantes, mais dans les accouchements difficiles, elles manquent d’instruments. Lorsque l’enfant se présente mal et qu’elles ne le peuvent retourner, elles suffoquent la mère, qui, se débattant contre la mort, délivre son fruit par l’effort d’une dernière convulsion. On avertit toujours la femme en travail avant de recourir à ce moyen ; elle n’hésite jamais à se sacrifier. Quelquefois la suffocation n’est pas complète ; on sauve à la fois l’enfant et son héroïque mère.

La pratique est encore, dans ces cas désespérés, de causer une grande frayeur à la femme en couches ; une troupe de jeunes gens s’approchent en silence de la cabane des purifications, et poussent tout à coup un cri de guerre : ces clameurs échouent auprès des femmes courageuses, et il y en a beaucoup.

Quand un sauvage tombe malade, tous ses parents se rendent à sa hutte. On ne prononce jamais le mot de mort devant un ami du malade : l’outrage le plus sanglant qu’on puisse faire à un homme, c’est de lui dire : « Ton père est mort. »

Nous avons vu le côté sérieux de la médecine des sauvages, nous allons en voir le côté plaisant, le côté qu’auroit peint un Molière indien, si ce qui rappelle les infirmités morales et physiques de notre nature n’avoit quelque chose de triste.

Le malade a-t-il des évanouissements, dans les intervalles où on peut le supposer mort, les parents, assis selon les degrés de parenté autour de la natte du moribond, poussent des hurlements qu’on entendroit d’une demi-lieue. Quand le malade reprend ses sens les hurlements cessent pour recommencer à la première crise.

Cependant le jongleur arrive ; le malade lui demande s’il reviendra à la vie : le jongleur ne manque pas de répondre qu’il n’y a que lui, jongleur, qui puisse lui rendre la santé. Alors le malade qui se croit près d’expirer harangue ses parents, les console, les invite à bannir la tristesse et à bien manger.

On couvre le patient d’herbes, de racines et de morceaux d’écorce ; on souffle avec un tuyau de pipe sur les parties de son corps où le mal est censé résider ; le jongleur lui parle dans la bouche pour conjurer, s’il en est temps encore, l’esprit infernal.