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Parmi les jeux de la troisième espèce, les jeux de l’oisiveté ou des passions, je ne décrirai que celui des osselets.

À ce jeu, les sauvages pleigent leurs femmes, leurs enfants, leur liberté ; et lorsqu’ils ont joué sur promesse et qu’ils ont perdu, ils tiennent leur promesse. Chose étrange ! l’homme, qui manque souvent aux serments les plus sacrés, qui se rit des lois, qui trompe sans scrupule son voisin et quelquefois son ami, qui se fait un mérite de la ruse et de la duplicité, met son honneur à remplir les engagements de ses passions, à tenir sa parole au crime, à être sincère envers les auteurs, souvent coupables, de sa ruine et les complices de sa dépravation.

Au jeu des osselets, appelé aussi le jeu du plat, deux joueurs seuls tiennent la main ; le reste des joueurs parie pour ou contre : les deux adversaires ont chacun leur marqueur. La partie se joue sur une table ou simplement sur le gazon.

Les deux joueurs qui tiennent la main sont pourvus de six ou huit dés ou osselets, ressemblant à des noyaux d’abricot taillés à six faces inégales : les deux plus larges faces sont peintes, l’une en blanc, l’autre en noir.

Les osselets se mêlent dans un plat de bois un peu concave ; le joueur fait pirouetter ce plat ; puis, frappant sur la table ou sur le gazon, il fait sauter en l’air les osselets.

Si tous les osselets, en tombant, présentent la même couleur, celui qui a joué gagne cinq points : si cinq osselets, sur six ou huit, amènent la même couleur, le joueur ne gagne qu’un point pour la première fois ; mais si le même joueur répète le même coup, il fait rafle de tout, et gagne la partie, qui est en quarante.

À mesure que l’on prend des points, on en défalque autant sur la partie de l’adversaire.

Le gagnant continue de tenir la main ; le perdant cède sa place à l’un des parieurs de son côté, appelé à volonté par le marqueur de sa partie : les marqueurs sont les personnages principaux de ce jeu : on les choisit avec de grandes précautions, et l’on préfère surtout ceux à qui l’on croit le manitou le plus fort et le plus habile.

La désignation des marqueurs amène de violents débats : si un parti a nommé un marqueur dont le manitou, c’est-à-dire la fortune, passe pour redoutable, l’autre parti s’oppose à cette nomination : on a quelquefois une très-grande idée de la puissance du manitou d’un homme qu’on déteste ; dans ce cas l’intérêt l’emporte sur la passion, et l’on adopte cet homme pour marqueur, malgré la haine qu’on lui porte.

Le marqueur tient à la main une petite planche sur laquelle il note