Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les jeux de l’enfance, inventés par les enfants eux-mêmes, se retrouvent sur toute la terre. J’ai vu le petit sauvage, le petit Bédouin, le petit nègre, le petit François, le petit Anglois, le petit Allemand, le petit Italien, le petit Espagnol, le petit Grec opprimé, le petit Turc oppresseur, lancer la balle et rouler le cerceau. Qui a montré à ces enfants si divers par leurs langues, si différents par leurs races, leurs mœurs et leurs pays, qui leur a montré ces mêmes jeux ? Le Maître des hommes, le Père de la grande et même famille : il enseigna à l’innocence ces amusements, développement des forces, besoin de la nature.

La seconde espèce de jeux est celle qui, servant à apprendre un art, est un besoin de la société. Il faut ranger dans cette espèce les jeux gymnastiques, les courses de char, la naumachie chez les anciens, les joutes, les castilles, les pas d’armes, les tournois dans le moyen âge, la paume, l’escrime, les courses de chevaux et les jeux d’adresse chez les modernes. Le théâtre avec ses pompes est une chose à part, et le génie le réclame comme une de ses récréations : il en est de même de quelques combinaisons de l’esprit, comme le jeu de dames et des échecs.

La troisième espèce de jeux, les jeux de hasard, est celle où l’homme expose sa fortune, son honneur, quelquefois sa liberté et sa vie avec une fureur qui tient du délire ; c’est un besoin des passions. Les dés chez les anciens, les cartes chez les modernes, les osselets chez les sauvages de l’Amérique septentrionale, sont au nombre de ces récréations funestes.

On retrouve les trois espèces de jeux dont je viens de parler chez les Indiens.

Les jeux de leurs enfants sont ceux de nos enfants ; ils ont la balle et la paume[1], la course, le tir de l’arc pour la jeunesse, et de plus le jeu des plumes, qui rappelle un ancien jeu de chevalerie.

Les guerriers et les jeunes filles dansent autour de quatre poteaux, sur lesquels sont attachés des plumes de différentes couleurs : de temps en temps un jeune homme sort des quadrilles et enlève une plume de la couleur que porte sa maîtresse : il attache cette plume dans ses cheveux, et rentre dans les chœurs de danse. Par la disposition de la plume et la forme des pas, l’Indienne devine le lieu que son amant lui indique pour rendez-vous. Il y a des guerriers qui prennent des plumes d’une couleur dont aucune danseuse n’est parée : cela veut dire que ce guerrier n’aime point ou n’est point aimé. Les femmes mariées ne sont admises que comme spectatrices à ce jeu.

  1. Voyez Les Natchez.