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accéléroit la collision de deux morceaux de bois sec. Une mèche soufrée de moelle de sureau étoit préparée afin de recevoir l’étincelle. Les deux maîtres de cérémonies s’avançoient à pas mesurés, l’un vers le grand-chef, l’autre vers la femme-chef. De temps en temps ils s’inclinoient ; et s’arrêtant enfin devant le grand-chef et devant la femme-chef, ils demeuroient complètement immobiles.

Des torrents de flamme s’échappoient de l’orient, et la portion supérieure du disque du soleil se montroit au-dessus de l’horizon. À l’instant le grand-prêtre pousse l’oah sacré, le feu jaillit du bois échauffé par le frottement, la mèche soufrée s’allume, les femmes, en dehors du temple, se retournent subitement et élèvent toutes à la fois vers l’astre du jour leurs enfants nouveau-nés et la crosse du labourage.

Le grand-chef et la femme-chef boivent le sorbet noir que leur présentent les maîtres de cérémonies ; le jongleur communique le feu aux cercles de roseau : la flamme serpente en suivant leur spirale. Les écorces de chêne sont allumées sur l’autel, et ce feu nouveau donne ensuite une nouvelle semence aux foyers éteints du village. Le grand-chef entonne l’hymne au soleil.

Les cercles de roseau étant consumés et le cantique achevé, la femme-chef sortoit du temple, et se mettoit à la tête des femmes, qui, toutes rangées à la file, se rendoient au champ commun de la moisson. Il n’étoit pas permis aux hommes de les suivre. Elles alloient cueillir les premières gerbes de maïs pour les offrir au temple, et pétrir avec le surplus les pains azymes du banquet de la nuit.

Arrivées aux cultures, les femmes arrachoient dans le carré attribué à leur famille un certain nombre des plus belles gerbes de maïs, plante superbe, dont les roseaux de sept pieds de hauteur, environnés de feuilles vertes et surmontés d’un rouleau de grains dorés, ressemblent à ces quenouilles entourées de rubans que nos paysannes consacrent dans les églises de village. Des milliers de grives bleues, de petites colombes de la grosseur d’un merle, des oiseaux de rizière, dont le plumage gris est mêlé de brun, se posent sur la tige des gerbes, et s’envolent à l’approche des moissonneuses américaines, entièrement cachées dans les avenues des grands épis. Les renards noirs font quelquefois des ravages considérables dans ces champs.

Les femmes revenoient au temple, portant les prémices en faisceau sur leur tête ; le grand-prêtre recevoit l’offrande, et la déposoit sur l’autel. On fermoit la porte orientale du sanctuaire, et l’on ouvroit la porte occidentale.

Rassemblée à cette dernière porte lorsque le jour alloit clore, la foule dessinoit un croissant dont les deux pointes étoient tournées vers