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gauche un marmouset grossièrement sculpté. On entretenoit dans un vase de pierre, devant les symboles, un feu d’écorce de chêne, qu’on ne laissoit jamais éteindre, excepté la veille de la fête du feu nouveau ou de la moisson : les prémices des fruits étoient suspendues autour de l’autel, les assistants ordonnés ainsi dans le temple :

Le grand-chef ou le soleil, à droite de l’autel ; à gauche, la femme-chef, qui, seule de toutes les femmes, avoit le droit de pénétrer dans le sanctuaire ; auprès du soleil se rangeoient successivement les deux chefs de guerre, les deux officiers pour les traités, et les principaux sachems ; à côté de la femme-chef s’asseyoient l’édile ou l’inspecteur des travaux publics, les quatre hérauts des festins, et ensuite les jeunes guerriers. À terre, devant l’autel, des tronçons de cannes séchées, couchés obliquement les uns sur les autres jusqu’à la hauteur de dix-huit pouces, traçoient des cercles concentriques dont les différentes révolutions embrassoient, en s’éloignant du centre, un diamètre de douze à treize pieds.

Le grand-prêtre debout, au seuil du temple, tenoit les yeux attachés sur l’orient. Avant de présider à la fête, il s’étoit plongé trois fois dans le Mississipi. Une robe blanche d’écorce de bouleau l’enveloppoit et se rattachoit autour de ses reins par une peau de serpent. L’ancien hibou empaillé, qu’il portoit sur sa tête, avoit fait place à la dépouille d’un jeune oiseau de cette espèce. Ce prêtre frottoit lentement l’un contre l’autre deux morceaux de bois sec, et prononçoit à voix basse des paroles magiques. À ses côtés, deux acolytes soulevoient par les anses deux coupes remplies d’une espèce de sorbet noir. Toutes les femmes, le dos tourné à l’orient, appuyées d’une main sur leur crosse de labour, de l’autre tenant leurs petits enfants, décrivoient en dehors un grand cercle à la porte du temple.

Cette cérémonie avoit quelque chose d’auguste : le vrai Dieu se fait sentir jusque dans les fausses religions ; l’homme qui prie est respectable ; la prière qui s’adresse à la Divinité est si sainte de sa nature, qu’elle donne quelque chose de sacré à celui-là même qui la prononce, innocent, coupable ou malheureux. C’étoit un touchant spectacle que celui d’une nation assemblée dans un désert à l’époque de la moisson pour remercier le Tout-Puissant de ses bienfaits, pour chanter ce Créateur qui perpétue le souvenir de la création en ordonnant chaque matin au soleil de se lever sur le monde.

Cependant un profond silence régnoit dans la foule. Le grand-prêtre observoit attentivement les variations du ciel. Lorsque les couleurs de l’aurore, muées du rose au pourpre, commençoient à être traversées des rayons d’un feu pur et devenoient de plus en plus vives, le prêtre