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Un crieur public parcouroit les villages, annonçant la cérémonie au son d’une conque. Il faisoit entendre ces paroles :

« Que chaque famille prépare des vases vierges, des vêtements qui n’ont point été portés ; qu’on lave les cabanes ; que les vieux grains, les vieux habits, les vieux ustensiles, soient jetés et brûlés dans un feu commun au milieu de chaque village ; que les malfaiteurs reviennent : les sachems oublient leurs crimes. »

Cette amnistie des hommes accordée aux hommes au moment où la terre leur prodigue ses trésors, cet appel général des heureux et des infortunés, des innocents et des coupables au grand banquet de la nature étoient un reste touchant de la simplicité primitive de la race humaine.

Le crieur reparaissoit le second jour, prescrivoit un jeûne de soixante-douze heures, une abstinence rigoureuse de tout plaisir, et ordonnoit en même temps la médecine des purifications. Tous les Natchez prenoient aussitôt quelques gouttes d’une racine qu’ils appeloient la racine du sang. Cette racine appartient à une espèce de plantin ; elle distille une liqueur rouge, violent émétique. Pendant les trois jours d’abstinence et de prières, on gardoit un profond silence ; on s’efforçoit de se détacher des choses terrestres pour s’occuper uniquement de Celui qui mûrit le fruit sur l’arbre et le blé dans l’épi.

À la fin du troisième jour, le crieur proclamoit l’ouverture de la fête, fixée au lendemain.

À peine l’aube avoit-elle blanchi le ciel, qu’on voyoit s’avancer, par les chemins brillants de rosée, les jeunes filles, les jeunes guerriers, les matrones et les sachems. Le temple du soleil, grande cabane qui ne recevoit le jour que par deux portes, l’une du côté de l’occident et l’autre du côté de l’orient, étoit le lieu du rendez-vous ; on ouvroit la porte orientale ; le plancher et les parois intérieures du temple étoient couverts de nattes fines, peintes et ornées de différents hiéroglyphes. Des paniers rangés en ordre dans le sanctuaire renfermoient les ossements des plus anciens chefs de la nation, comme les tombeaux dans nos églises gothiques.

Sur un autel placé en face de la porte orientale, de manière à recevoir les premiers rayons du soleil levant, s’élevoit une idole représentant un chouchouacha. Cet animal, de la grosseur d’un cochon de lait, a le poil du blaireau, la queue du rat, les pattes du singe ; la femelle porte sous le ventre une poche où elle nourrit ses petits. À droite de l’image du chouchouacha étoit la figure d’un serpent à sonnettes, à