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porte ses enfants ; comment elle les suspend aux branches des arbres ; comment elle leur chante ; comment elle les pare, les endort et les réveille ; comment, après leur mort, elle les pleure ; comment elle va répandre son lait sur le gazon de leur tombe, ou recueillir leur âme sur les fleurs[1].

Après le mariage et la naissance, il conviendroit de parler de la mort, qui termine les scènes de la vie ; mais j’ai si souvent décrit les funérailles des sauvages, que la matière est presque épuisée.

Je ne répéterai donc point ce que j’ai dit dans Atala et dans Les Natchez relativement à la manière dont on habille le décédé, dont on le peint, dont on s’entretient avec lui, etc. J’ajouterai seulement que parmi toutes les tribus il est d’usage de se ruiner pour les morts : la famille distribue ce qu’elle possède aux convives du repas funèbre ; il faut manger et boire tout ce qui se trouve dans la cabane. Au lever du soleil, on pousse de grands hurlements sur le cercueil d’écorce où gît le cadavre ; au coucher du soleil, les hurlements recommencent : cela dure trois jours, au bout desquels le défunt est enterré. On le recouvre du mont du tombeau ; s’il fut guerrier renommé, un poteau peint en rouge marque sa sépulture.

Chez plusieurs tribus les parents du mort se font des blessures aux jambes et aux bras. Un mois de suite, on continue les cris de douleur au coucher et au lever du soleil, et pendant plusieurs années on accueille par des mêmes cris l’anniversaire de la perte que l’on a faite.

Quand un sauvage meurt l’hiver à la chasse, son corps est conservé sur les branches des arbres ; on ne lui rend les derniers honneurs qu’après le retour des guerriers au village de sa tribu. Cela se pratiquoit jadis ainsi chez les Moscovites.

Non-seulement les Indiens ont des prières, des cérémonies différentes, selon le degré de parenté, la dignité, l’âge et le sexe de la personne décédée, mais ils ont encore des temps d’exhumation publique[2], de commémoration générale.

Pourquoi les sauvages de l’Amérique sont-ils de tous les peuples ceux qui ont le plus de vénération pour les morts ? Dans les calamités nationales, la première chose à laquelle on pense, c’est à sauver les trésors de la tombe : on ne reconnoît la propriété légale que là où sont ensevelis les ancêtres. Quand les Indiens ont plaidé leurs droits de possession, ils se sont toujours servis de cet argument, qui leur

  1. Voyez, pour l’éducation des enfants, la lettre ci-dessus, p. 67.
  2. Atala.