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empenné avec des queues d’oiseaux ; dans sa main gauche il tient son arc détendu en guise de bâton. Son fils le suit chargé de peaux d’ours, de castors et d’orignaux ; il porte en outre deux colliers de porcelaine à quatre branches et une tourterelle vivante dans une cage.

Les prétendants vont d’abord chez le plus vieux parent de la jeune fille ; ils entrent dans sa cabane, s’asseyent devant lui sur une natte, et le père du jeune guerrier, prenant la parole, dit : « Voilà des peaux. Les deux colliers, le calumet bleu et la tourterelle demandent ta fille en mariage. »

Si les présents sont acceptés, le mariage est conclu, car le consentement de l’aïeul ou du plus ancien sachem de la famille l’emporte sur le consentement paternel. L’âge est la source de l’autorité chez les sauvages : plus un homme est vieux, plus il a d’empire. Ces peuples font dériver la puissance divine de l’éternité du Grand-Esprit.

Quelquefois le vieux parent, tout en acceptant les présents, met à son consentement quelque restriction. On est averti de cette restriction si, après avoir aspiré trois fois la vapeur du calumet, le fumeur laisse échapper la première bouffée au lieu de l’avaler, comme dans un consentement absolu.

De la cabane du vieux parent on se rend au foyer de la mère et de la jeune fille. Quand les songes de celle-ci ont été néfastes, sa frayeur est grande. Il faut que les songes, pour être favorables, n’aient représenté ni les Esprits, ni les aïeux, ni la patrie, mais qu’ils aient montré des berceaux, des oiseaux et des biches blanches. Il y a pourtant un moyen infaillible de conjurer les rêves funestes, c’est de suspendre un collier rouge au cou d’un marmouset de bois de chêne : chez les hommes civilisés l’espérance a aussi ses colliers rouges et ses marmousets.

Après cette première demande, tout a l’air d’être oublié ; un temps considérable s’écoule avant la conclusion du mariage : la vertu de prédilection du sauvage est la patience. Dans les périls les plus imminents, tout se doit passer comme à l’ordinaire : lorsque l’ennemi est aux portes, un guerrier qui négligeroit de fumer tranquillement sa pipe, assis les jambes croisées au soleil, passeroit pour une vieille femme.

Quelle que soit donc la passion du jeune homme, il est obligé d’affecter un air d’indifférence et d’attendre les ordres de la famille. Selon la coutume ordinaire, les deux époux doivent demeurer d’abord dans la cabane de leur plus vieux parent ; mais souvent des arrangements particuliers s’opposent à l’observation de cette coutume. Le futur mari bâtit alors sa cabane : il en choisit presque toujours l’em-