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castor vit chastement avec une seule femelle ; il est jaloux, et tue quelquefois sa femme pour cause ou soupçon d’infidélité.

La longueur moyenne du castor est de deux pieds et demi à trois pieds ; sa largeur, d’un flanc à l’autre, d’environ quatorze pouces ; il peut peser quarante-cinq livres ; sa tête ressemble à celle du rat ; ses yeux sont petits, ses oreilles courtes, nues en dedans, velues en dehors ; ses pattes de devant n’ont guère que trois pouces de long, et sont armées d’ongles creux et aigus ; ses pattes de derrière, palmées comme celles du cygne, lui servent à nager ; la queue est plate, épaisse d’un pouce, recouverte d’écailles hexagones, disposées en tuiles comme celles des poissons ; il use de cette queue en guise de truelle et de traîneau. Ses mâchoires, extrêmement fortes, se croisent ainsi que les branches des ciseaux ; chaque mâchoire est garnie de dix dents, dont deux incisives de deux pouces de longueur : c’est l’instrument avec lequel le castor coupe les arbres, équarrit leurs troncs, arrache leur écorce et broie les bois tendres dont il se nourrit.

L’animal est noir, rarement blanc ou brun ; il a deux poils, le premier long, creux et luisant ; le second, espèce de duvet qui pousse sous le premier, est le seul employé dans le feutre. Le castor vit vingt ans. La femelle est plus grosse que le mâle, et son poil est plus grisâtre sous le ventre. Il n’est pas vrai que le castor se mutile lorsqu’il tombe vivant entre les mains des chasseurs, afin de soustraire sa postérité à l’esclavage. Il faut chercher une autre étymologie à son nom.

La chair des castors ne vaut rien, de quelque manière qu’on l’apprête. Les sauvages la conservent cependant après l’avoir fait boucaner à la fumée : ils la mangent lorsque les vivres viennent à leur manquer.

La peau du castor est fine sans être chaude ; aussi la chasse du castor n’avoit autrefois aucun renom chez les Indiens : celle de l’ours, où ils trouvoient avantage et péril, étoit la plus honorable. On se contentoit de tuer quelques castors pour en porter la dépouille comme parure, mais on n’immoloit pas des peuplades entières. Le prix que les Européens ont mis à cette dépouille a seul amené dans le Canada l’extermination de ces quadrupèdes, qui tenoient par leur instinct le premier rang chez les animaux. Il faut cheminer très-loin vers la baie d’Hudson pour trouver maintenant des castors ; encore ne montrent-ils plus la même industrie, parce que le climat est trop froid : diminués en nombre, ils ont baissé en intelligence, et ne développent plus les facultés qui naissent de l’association[1].

  1. On a retrouvé des castors entre le Missouri et le Mississipi ; ils sont surtout extrêmement nombreux au delà des montagnes Rocheuses, sur les branches de la