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ques un souterrain creusé sous les tours aboutissoit dans la campagne.

Il y a des infirmeries pour les malades. Et c’est un animal foible et informe qui achève tous ces travaux, qui fait tous ces calculs !

Vers le mois de juillet, les castors tiennent un conseil général : ils examinent s’il est expédient de réparer l’ancienne ville et l’ancienne chaussée, ou s’il est bon de construire une cité nouvelle et une nouvelle digue. Les vivres manquent-ils dans cet endroit, les eaux et les chasseurs ont-ils trop endommagé les ouvrages, on se décide à former un autre établissement. Juge-t-on au contraire que le premier peut subsister, on remet à neuf les vieilles demeures, et l’on s’occupe des provisions d’hiver.

Les castors ont un gouvernement régulier : des édiles sont choisis pour veiller à la police de la république. Pendant le travail commun, des sentinelles préviennent toute surprise. Si quelque citoyen refuse de porter sa part des charges publiques, on l’exile ; il est obligé de vivre honteusement seul dans un trou. Les Indiens disent que ce paresseux puni est maigre et qu’il a le dos pelé en signe d’infamie. Que sert à ces sages animaux tant d’intelligence ? L’homme laisse vivre les bêtes féroces et extermine les castors, comme il souffre les tyrans et persécute l’innocence et le génie.

La guerre n’est malheureusement point inconnue aux castors : il s’élève quelquefois entre eux des discordes civiles, indépendamment des contestations étrangères qu’ils ont avec les rats musqués. Les Indiens racontent que si un castor est surpris en maraude sur le territoire d’une tribu qui n’est pas la sienne, il est conduit devant le chef de cette tribu, et puni correctionnellement ; à la récidive, on lui coupe cette utile queue qui est à la fois sa charrette et sa truelle : il retourne ainsi mutilé chez ses amis, qui s’assemblent pour venger son injure. Quelquefois le différend est vidé par un duel entre les deux chefs des deux troupes, ou par un combat singulier de trois contre trois, de trente contre trente, comme le combat des Curiaces et des Horaces, ou des trente Bretons contre les trente Anglois. Les batailles générales sont sanglantes : les sauvages qui surviennent pour dépouiller les morts en ont souvent trouvé plus de quinze couchés au lit d’honneur. Les castors vainqueurs s’emparent de la ville des castors vaincus, et, selon les circonstances, ils y établissent une colonie ou y entretiennent une garnison.

La femelle du castor porte deux, trois, et jusqu’à quatre petits ; elle les nourrit et les instruit pendant une année. Quand la population devient trop nombreuse, les jeunes castors vont former un nouvel établissement, connue un essaim d’abeilles échappé de la ruche. Le