Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le lac : entre leurs troncs, comme entre des colonnes, on aperçoit des cabanes, le lac et ses rivages attachés d’un côté à des forêts, de l’autre à des prairies : c’est à peu près ainsi que la mer, la plaine et les ruines d’Athènes se montrent, dit-on[1], à travers les colonnes isolées du temple de Jupiter Olympien.

Il seroit difficile d’imaginer rien de plus beau que les environs d’Apalachucla, la ville de la paix. À partir du fleuve Chata-Uche, le terrain s’élève en se retirant à l’horizon du couchant ; ce n’est pas par une pente uniforme, mais par des espèces de terrasses posées les unes sur les autres.

À mesure que vous gravissez de terrasse en terrasse, les arbres changent selon l’élévation du sol : au bord de la rivière ce sont des chênes-saules, des lauriers et des magnolias ; plus haut des sassafras et des platanes, plus haut encore des ormes et des noyers ; enfin la dernière terrasse est plantée d’une forêt de chênes, parmi lesquels on remarque l’espèce qui traîne de longues mousses blanches. Des rochers nus et brisés surmontent cette forêt.

Des ruisseaux descendent en serpentant de ces rochers, coulent parmi les fleurs et la verdure, ou tombent en nappes de cristal. Lorsque, placé de l’autre côté de la rivière Chata-Uche, on découvre ces vastes degrés couronnés par l’architecture des montagnes, on croiroit voir le temple de la nature et le magnifique perron qui conduit à ce monument.

Au pied de cet amphithéâtre est une plaine où paissent des troupeaux de taureaux européens, des escadrons de chevaux de race espagnole, des hordes de daims et de cerfs, des bataillons de grues et de dindes, qui marbrent de blanc et de noir le fond vert de la savane. Cette association d’animaux domestiques et sauvages, les huttes siminoles, où l’on remarque les progrès de la civilisation à travers l’ignorance indienne, achèvent de donner à ce tableau un caractère que l’on ne retrouve nulle part.

Ici finit, à proprement parler, l’Itinéraire ou le mémoire des lieux parcourus ; mais il reste dans les diverses parties du manuscrit une multitude de détails sur les mœurs et les usages des Indiens. J’ai réuni ces détails dans des chapitres communs, après les avoir soigneusement revus et amené ma narration jusqu’à l’époque actuelle. Trente-six ans écoulés depuis mon voyage ont apporté bien des lumières et changé bien des choses dans l’Ancien et dans le Nouveau Monde ; ils ont dû

  1. Je les ai vues depuis.