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Le soleil se couvre, les premiers roulements du tonnerre se font entendre ; les crocodiles y répondent par un sourd rugissement, comme un tonnerre répond à un autre tonnerre. Une immense colonne de nuages s’étend au nord-est et au sud-est ; le reste du ciel est d’un cuivre sale, demi-transparent et teint de la foudre. Le désert éclairé d’un jour faux, l’orage suspendu sur nos têtes et près d’éclater, offrent un tableau plein de grandeur.

Voilà l’orage ! qu’on se figure un déluge de feu sans vent et sans eau ; l’odeur de soufre remplit l’air ; la nature est éclairée comme à la lueur d’un embrasement.

À présent les cataractes de l’abîme s’ouvrent ; les grains de pluie ne sont point séparés : un voile d’eau unit les nuages à la terre.

Les Indiens disent que le bruit du tonnerre est causé par des oiseaux immenses qui se battent dans l’air et par les efforts que fait un vieillard pour vomir une couleuvre de feu. En preuve de cette assertion, ils montrent des arbres où la foudre a tracé l’image d’un serpent. Souvent les orages mettent le feu aux forêts ; elles continuent de brûler jusqu’à ce que l’incendie soit arrêté par le cours de quelque fleuve : ces forêts brûlées se changent en lacs et en marais.

Le courlis, dont nous entendons la voix dans le ciel au milieu de la pluie et du tonnerre, nous annonce la fin de l’ouragan. Le vent déchire les nuages qui volent brisés à travers le ciel ; le tonnerre et les éclairs attachés à leurs flancs les suivent ; l’air devient froid et sonore : il ne reste plus de ce déluge que des gouttes d’eau qui tombent en perles du feuillage des arbres. Nos filets et nos provisions de voyage flottent dans les canots remplis d’eau jusqu’à l’échancrure des avirons.

Le pays habité par les Creeks (la confédération des Muscogulges, des Siminoles et des Chéroquois) est enchanteur. De distance en distance la terre est percée par une multitude de bassins qu’on appelle des puits, et qui sont plus ou moins larges, plus ou moins profonds : ils communiquent par des routes souterraines aux lacs, aux marais et aux rivières. Tous ces puits sont placés au centre d’un monticule planté des plus beaux arbres, et dont les flancs creusés ressemblent aux parois d’un vase rempli d’une eau pure. De brillants poissons nagent au fond de cette eau.

Dans la saison des pluies, les savanes deviennent des espèces de lacs au-dessus desquels s’élèvent, comme des îles, les monticules dont nous venons de parler.

Cuscowilla, village siminole, est situé sur une chaîne de collines graveleuses à quatre cents toises d’un lac ; des sapins écartés les uns des autres, et se touchant seulement par la cime, séparent la ville et